samedi 3 mai 2008

Feuille de route 19 de Jean-Michel

Le 17/04/2008

Feuille de route 19 : un petit-déjeuner à Luang Prabang (Laos) : “la loi est la même pour tous”


Il y a déjà quelques années, le hasard a guidé mes pas, vers une petite guesthouse (1) sise dans le quartier « historique » de Luang Prabang, à deux pas du Palais Royal (2).
J’apprécie beaucoup cette guesthouse. Son calme, sa situation centrale au coeur de la ville ancienne, l’animation permanente de son environnement (3), son caractère intimiste -quelques chambres- m’ont vite séduit.
Au fil des années, je suis devenu un familier de ce lieu d’hébergement, mais aussi, suivant la tradition laotienne, de la famille du propriétaire. Cela me vaut d’être invité à nombre de manifestations familiales : anniversaires des décès, bacis (4) ou réunions amicales.
Ainsi, en ce 12 février matin, tout baigne de soleil, j’aperçois, dans le jardin qui enserre la propriété, plusieurs personnes attablées. Je salue les commensaux d’un vigoureux « sabaidee » (5), le tout accompagné du grand sourire de rigueur. Le proprietaire des lieux, M. Taphan, un monsieur presque octogénaire, m’invite alors à les rejoindre. Curieux de découvrir peut-être un aspect méconnu de la réalité laotienne, j’obtempère et m’assieds auprès des quatre invités. Il y a la, de la même génération que M. Taphan, deux messieurs, aux habits dénotant un certain statut social, et deux autres personnes âgées d’une cinquantaine d’années.
Au menu de ce repas matinal : saucisses; riz gluant; viande de buffle hachée; concombres; algues séchées et frites; piments; poissons séchés, le tout largement arrosé de vin rouge.
Les quasi-octogénaires me content leur vie. Des souvenirs de jeunesse. Des souvenirs de leur vie professionnelle. Tous ont tous fait partie de l’élite francophone qui, après l’independance du Laos (1953) a dirigé le pays jusqu’au dernier changement de régime (1975). Ils sont les descendants de « grandes » familles de la ville, ce qui leur permit de faire des études supérieures dans les années 50. Les efforts que chacun fait pour se remémorer mots et expressions françaises enfouies au fond des mémoires ne sont pas seulement la traduction de la politesse laotienne envers le francophone que je suis, mais aussi un témoignage d’une sincère sympathie envers ce qu’a laissé, dans ce Laos qu’il a fait renaître, notre pays.
M. Taphan me rappelle qu’il fut le chef des Travaux publics de Luang Prabang. Mon voisin de droite qu’il était médecin et fils de médecin. Quant au troisième, il avait été colonel de l’armée laotienne après avoir, dans sa jeunesse découvert nombre de pays étrangers puisque son père avait été Ambassadeur du Laos en France au début des années 1950, puis à Londres, Washington et Tokyo. Cette fonction était due au fait que son grand-père était un des fils naturels du Roi du Laos.
Tous ont fait, après 1975, quelques années de “camp de rééducation” -style laotien- (6). Rendus à la vie civile, ils ont connu des temps difficiles jusqu’au début des années 1990. Devant alors du prendre en compte le nouvel environnement international marqué par l’effondrement de l’URSS, les autorités laotiennes, à l’instar du Viet nam voisin et tutélaire, ont commencé à ouvrir le pays vers l’étranger et le tourisme (7). Sur le plan interne, une loi foncière (1997) restaura et confirma les droits des occupants des sols. En ville, et à Luang Prabang en particulier, cette loi consacra la renaissance économique des familles des anciennes élites urbaines (8), le foncier urbain, dans un pays statique comme le Laos, étant l’une, sinon la principale source de richesses.
Depuis lors, l’histoire de ces hommes et de leurs familles en fut totalement changée. Reprenons celle de M. Taphan.
Issu d’une famille de commercants, il a vite compris que le tourisme était l’avenir de ceux qui avaient la chance de se voir confirmer des droits sur des biens fonciers urbains.
Ces biens se composaient d’un vaste terrain sis en centre-ville sur lequel avait été construit, il y a une centaine d’années, par le père de M. Taphan, commerçant de son état, une imposante maison patricienne, longue d’une trentaine de mètres. Elle est l’une des plus anciennes de la ville. Elle repose sur des pilotis en bois (9) et se compose de deux parties : un espace réservé à l’habitation proprement dite et un autre, beaucoup plus vaste, destiné initialement à être un lieu de réunion. En effet, M. Taphan -père- était également maire du village de Luang Prabang où se trouvait sa propriété (10).
Ayant un certain sens des affaires et vraisemblablement su trouver quelques ressources financières, M. Taphan -fils- a commencé, il y a 10 ans, par construire une guesthouse (1) dans l’enceinte de la propriété, puis a transformé la salle de réunion en salle de restaurant pour y organiser, presque chaque soir, en partenariat avec l’Ecole de danse de la ville, des dîners au cours desquels, les touristes peuvent, entre une boulette de riz gluant relevée par une sauce aux épicés et une bouchée de poisson du Mékong, admirer des danses traditionnelles laotiennes racontant les épopées hindouistes.
Plus recemment, il a fait construire deux autres restaurants, un dans la principale rue de la ville et un autre dans un lieu touristique très fréquenté (Pak Ou) situé à 25 kilomètres de la ville (11), ce qui l’a amené à acheter quelques bateaux pour rejoindre ce lieu.
Il possède tous les attributs de la richesse qu’il n’hésite pas -comme partout en Asie- à montrer- : voiture de haut de gamme, vêtements de marque, bijoux.
Ses commensaux ont aussi développé des affaires -toujours liées directement ou indirectement au tourisme-, notamment à l’aide de capitaux importés par des parents, souvent leurs enfants, émigrés dans un pays du monde occidental (12).
Le vin (13) aidant (deux cubiteners de 5 litres pour 5 personnes -!- et toujours 30 degrés à l’ombre), nos agapes se terminèrent dans une gaieté généralisée et en chansons.
Une semaine plus tard, le 19 fevrier, je suis de nouveau hélé par le proprietaire de la guesthouse. Cette fois-ci, il y a encore plus de monde autour de la table. En plus des participants du précédent petit-dejeuner, sont venus s’adjoindre deux anciens médecins et un ancien Inspecteur de l’Education nationale, tous en retraite. Ils avaient tous fait leurs études supérieures à Phnom Penh (Cambodge), le Laos , n’ayant pas -dans les années 1950- d’Université.
Au menu : riz gluant, viande boucanée, pousses de bambou, boudin, légumes divers, salade de papaya, salade -sucrée- aux cacahuètes, salade verte et aux tomates -sucrée-, viande de sanglier, nems. Et surtout du vin. De la, le titre de cette feuille de route. Au Laos, la coutume veut qu’un “homme” (14) vide son verre -contenu- “cul sec”. A defaut, il “perdrait la face”, affront suprême en Asie. Quant au verre -contenant- autre coutume, il est unique. Il passe donc de convive en convive, assez rapidement puisqu’il faut le vider lorsque son tour arrivé. Au 5ème ou 6ème verre, je tente de manifester un refus poli. L’un des convives, en le remplissant autoritairement, me lance alors : “la loi est la même pour tous”, aphorisme fleurant bon la III République laïque, et, appliqué à la situation présente, plein d’humour.
Au fur et a mesure que le temps passe -et l’alcool aidant (au moins 5 ou 6 cubitainers de 5 litres de vin, ce jour-là), les langues se délient. Reviennent en mémoire des fables de La Fontaine ou des poèmes de Victor Hugo, puis fleurissent sur les lèvres les chansons à boire (“chevaliers de la table ronde..”)…
C’est ainsi que chaque semaine, je consacre une matinée -et souvent jusque dans l’après-midi bien avancé- à ces petits dejeuners qui me permettent, entre autres, de découvrir des « spécialités » culinaires -tels les grillons frits à accompagner d’une sauce tres pimentée- et de terminer par des chansons françaises à l’aide du vin ou du « lao-lao » -alcool a base de riz-, « toujours cul-sec ».
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Mais ces petits dejeuners ne servent-ils qu’à cela ? En fait, je découvre progressivement que ces rencontres, certes fort conviviales, sont d’abord des lieux de pouvoir.
En effet, après les amabilités d’usage et avant les chansons à boire, l’essentiel des conversations, dans un lieu ou l’argent et le pouvoir économique passent d’abord par un foncier que ces descendants des grandes familles gèrent, concerne les aménagements et constructions dans le village.
Cela peut paraitre logique vu la composition du patrimoine des commensaux. Ce qui peut le paraitre moins, c’est que ces discussions ont ouvertement lieu en accord avec les autorités politiques de la « République Populaire Démocratique Lao ».
En effet, je me demandais qui pouvaient être ces deux messieurs d’une cinquantaine d’années qui assistaient également à tous les petits déjeuners. Entre deux verres de vin, ma curiosité fut satisfaite.
L’un d’entre eux est le “maire” du village (15).
L’autre est le demi-frère du proprietaire des lieux : il est “dans le commerce”, sa femme est pharmacienne et son beau-frère, chef de la police.
Ensemble, élite économique qui s’est reconstituée et décideurs politiques “font” la politique du village.
Apparemment, les deux pouvoirs coexistent parfaitement, retrouvant cet “équilibre de la cohabitation” entre tendances « politiques » opposées, qui est la marque de la vie politique laotienne, comme cela fut le cas, notamment après le départ des Français (1953 – 1975).
Schéma « classique » certes, mais, en réalité plus complexe qu’il n’y parait.
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En effet, d’une part, cette « alliance » ne signifie pas que cette élite économique est subordonnée au Parti. Elle reste fidèle, au moins à Luang Prabang, à ses attaches royalistes.
La preuve m’en fut fournie peu de temps après.
Le 23 février, M. Taphan me demande si je suis « libre » le lendemain pour assister au « Pasa Tiao Sivit ». J’ignorais alors ce que ces trois syllabes recouvraient, mais, évidemment, j’acquiesce tout de suite à sa proposition.
Le 24 février, après le petit-dejeuner, j’accompagne donc M. Taphan et son demi-frère pour … rejoindre le cimetière de la famille Royale sis sur l’autre rive du Mékong. Dans ce cimetière, on ne trouve pas la tombe du dernier Roi, Sisavang Vatthana, puisque les conditions de sa disparition restent un secret d’Etat (16), mais celle de la Reine-Mère, Kham Ouane (17), morte en couches en 1915 et mère de Sisavang Vatthana. Une fois l’an se tient une cérémonie commémorative -le « Pasa Tia Sivit »- pour l’anniversaire de la mort de la Reine-Mère, façon pour les fidèles de l’Ancien Roi de commemorer leur attachement à la famille Royale (18).
Cette commémoration se tient en présence des derniers descendants de la famille royale vivant à Luang Prabang. Les plus hautes autorités bouddhistes sont également présentes…. Les autorités politiques aussi...
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Car, d’autre part, le pouvoir politique, de son côté, donne souvent l’impression de vouloir reprendre des pratiques du temps royal pour peut-être s’identifier à lui.
Ainsi, le 18 fevrier, en début de soirée, rentrant à ma chambre, je découvre la ruelle d’accès encombrée par une de ces Mercedes diplomatique « de prestige », longue d’au moins 7 mètres (18), des véhicules de police et des voitures banalisées, le tout essayant d’atteindre la guesthouse. Une fois, la Mercedes arrêtée devant la guesthouse, des gardes se precipitent pour ouvrir la portiere arrière. En sort alors… le Vice-Premier Ministre du Laos, membre du Bureau politique. De passage à Luang Prabang pour inaugurer une nouvelle section de l’Université, il vient dîner chez M. Taphan et admirer, lui aussi, des danses traditionnelles laotiennes. Ce qui me frappe le plus dans cette venue est le cérémonial quasi royal qui entoure la venue de ce Membre du Bureau politique : voiture de prestige, service d’ordre débordant et surtout le spectacle de l’entourage du Vice-Ministre faisant, de la voiture à la guesthouse, une haie d’honneur “courbée” et les mains jointes au dessus de la tête suivant la tradition asiatique qui veut que l’on marque ainsi son respect le plus déférent à l’égard des puissants de ce monde quasi divinisés.
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Evidemment, ces deux pouvoirs prennent soin de se ménager les bonnes grâces du troisième pouvoir (20) : celui des Vats (temples) dont personne aujourd’hui ne conteste l’autorité morale (21).
Si toutefois, le bouddhisme se tient officiellement à l’écart des joutes économiques et politiciennes, cela ne signifie aucunement qu’il est le seul à occuper la scène « spirituelle ». Il doit, quant à lui, composer avec le tréfonds culturel du pays.
Pour mieux expliquer, reprenons le fil conducteur de cette feuille : les petits déjeuners.
Mes commensaux m’avaient, à plusieurs reprises, signalé leur admiration pour un Français, Guy Merbier, qui, il y a une soixantaine d’années, du temps de leur jeunesse, anima des clubs de scouts du Laos (22).
En mars et avril, il me reçut chaleureusement à plusieurs reprises dans sa maison de Luang Prabang toujours grande ouverte, selon la tradition laotienne. Bien au fait des ressorts sociaux et politiques du pays, il me confirma que les grandes familles, autrefois alliées du pouvoir royal -qu’elles respectent toujours avec ferveur-, se sont aujourd’hui “alliées” au Parti qui, de son côté, tend à imiter l’ancien pouvoir royal. Ces deux forces ménagent un bouddhisme à la force morale incontestée qui structure la vie sociale et gomme des inégalités qui apparaîtraient trop criantes -à la différence du Cambodge-. Bouddhisme qui toutefois doit composer avec les trefonds culturels du pays : l’hindouisme et surtout le culte des esprits (les « Phi » - en laotien) encore tres vivace au Laos (23) et antérieur à l’arrivée des religions hindouiste, puis bouddhiste (24).
M. Merbier m’a rapporté deux faits pour illustrer cette prégnance du « culte des esprits », toujours actuelle.
D’abord celle de son fils adoptif, Romain, aujourd’hui âgé de 8 ans.
Un jour de l’an 2000, le couple de bateliers -de l’ethnie Kamu- qui le conduisait de temps en temps au nord Laos via le Mekong, vient le voir, un bébé dans les bras. Il lui conte alors la « mesaventure » arrivé à leur fils, jeune marié. Son épouse, originaire d’une ethnie d’un village du nord Laos -près de la frontière birmane- et rencontrée là-bas, venait d’accoucher. Lors de sa grossesse, le chef du village avait indiqué à la jeune épouse que la naissance se passerait bien et que ce serait une fille. Mais, après, certes avoir donné effectivement naissance à une fille, vient au monde, une demi-heure plus tard, un jumeau -un garcon-. Les naissances ayant eu lieu à Luang Prabang, la mère put cacher à son village cette seconde naissance, mais refusa de voir son second bébé et de le reconnaître (25). Car la coutume de sa tribu est stricte : en cas de naissance de jumeaux, ils doivent être physiquement éliminés tous deux, la maison des parents -de l’épouse, en l’espèce- détruite et la famille chassée du village jusqu’à “régénération”, car la naissance de jumeaux se traduit par la venue de « Phis » néfastes qui ne peuvent apporter que des malheurs au village. La mère devait donc se débarasser de son garcon sous peine de graves sanctions pour elle et surtout pour sa famille. Guy Merbier et son épouse décidèrent alors d’adopter l’enfant… C’était, non pas à une époque préhistorique, mais il y a 8 ans dans un village du nord Laos.
Pour ceux qui croiraient que cette histoire ne peut se produire que dans des villages des zones reculées du Laos, Guy Merbier m’a conté un autre fait divers qui résume bien l’actuelle réalite culturelle du Laos. Nous discutions en effet des Français qui avaient vécu à Luang Prabang avant 1975 et qui y avaient été enterrés. Il m’indiqua alors la localisation du cimetière des « Français ». En fait de deux cimetières contigus : le premier était destiné aux Français de « souche » et aux métis et le second aux Asiatiques qui travaillaient avec les Français (surtout des Vietnamiens, mais aussi des Chinois). Il y a une quinzaine d’années, une convention franco-laotienne avait prévu le rapatriement des corps des Français dans un cimetière prévu à cet effet à Vientiane. Personne ne sait ce que sont devenus les restes des Asiatiques.
Au lieu et place des deux cimetières fut alors entreprise la construction de bâtiments destinés à l’Administration provinciale. Or, depuis, les plaintes du personnel se sont accumulées. Des cas de maladie suspecte auraient atteint de nombreux employés (26). Pour tous les membres de cette administration, il ne peut y avoir qu’une seule raison : les «esprits » des morts -non incinérés- continuent à rôder et à porter malheur. Devant de tels risques, les autorités ont décidé de donner suite à un projet de déménagement.
*
Les sociétés évoluent finalement bien moins vite que ne voudraient nous le faire croire tous les « experts » en developpement...
Jean-Michel GALLET
(1) guesthouse ou lieu d’hébergement. En principe, une guesthouse est d’une capacité d’accueil plus réduite qu’un hôtel et offre des prestations un peu moins étendues
(2) aujourd’hui musée, le Palais royal fut construit entre 1904 et 1909 sous le règne de Sisavang Vong, Roi de 1904 à 1959. Si, toutefois, Luang Prabang fut bien le premier et le dernier siège de la royauté lao, par contre, Luang Prabang et Vientiane se sont toujours disputés le titre de capitale -administrative et politique- du pays.
Historiquement, Luang Prabang fut la première capitale d’un “royaume du Laos” unifié et officiellement bouddhiste -alors appelé Lan Xang- de 1353 à 1563. Celle-ci fut ensuite transférée à Vientiane pour échapper aux incursions birmanes. S’ensuivit pour le Laos une longue période troublée marquée par des rivalités internes (entre les quatre royaumes du pays : Vientiane, Luang Prabang, Xien Khouang et Champassak) et, surtout, par des invasions répétées de ses voisins -notamment du Siam, mais aussi du Viet Nam, de Chine et de la Birmanie-. En 1893, le royaume de Luang Prabang -le seul qui avait encore un minimum d’existence- fut place sous protectorat français (*), échappant ainsi à la tutelle siamoise (**). Les autres provinces du Laos furent placés sous l’administration directe de la France et reçurent, elles, le statut de colonie. En 1899, Vientiane devint la capitale administrative du pays. Il y avait alors deux Haut-Commissaires Français : un à Vientiane et un à Luang Prabang. Le Roi Sisavang Vong, résident à Luang Prabang, ne devint Roi d’un Laos réunifié qu’au terme d’un processus engagé notamment pendant la seconde mondiale, sous la pression japonaise. Le 11 mai 1947, il devenait Roi d’une monarchie constitutionnelle. Mais d’autres déchirements attendaient le Laos. Depuis 1945, dans l’embrasement croissant de l’ancienne Indochine française, une rebellion, animée par des forces pro-communistes (Pathet Lao), commençait à prendre le controle des provinces du nord et nord-est. L’independance, accordée au Laos le 22 octobre 1953, n’allait pas modifier fondamentalement le cours des choses. Le 2 décembre 1975, le Laos devenait la « République démocratique populaire Lao » avec Vientiane pour capitale. Le Roi et sa proche famille furent envoyés dans un camp de rééducation d’où ils ne revinrent jamais
(*) ce fut l’œuvre d’Auguste Pavie (1847 – 1925), nomme Vice-Consul de France à Luang Prabang le 11 novembre 1885. Il obtint du Siam, en 1893, la reconnaissance du protectorat français sur le Haut-Laos (région de Luang Prabang), puis, des pays voisins, celle des frontières de l’actuel Laos
(**) de 1753/1778 à 1893, les Rois de Luang Prabang allaient se faire couronner au Siam, puis revenaient à Luang Prabang. Sisavang Vong fut le premier Roi à être de nouveau couronné à Luang Prabang en 1904
(3) à 50 mètres du Mékong qui déploie son ruban majestueux, la guesthouse surplombe le Vat (temple) Phon Xay. Après un réveil au son des battements de tambour des Vats -ou temples-, relayés par des cocoricos éraillés (voir feuille de route 18 : “bouddhisme et democratie”), les rues environnantes sont envahies -jusque vers 11 heures, heure du repas- par les étals du marché et par les ménagères de la ville venues y faire leurs courses. Là, entre légumes, fruits, viandes diverses et poissons du Mékong, s’installe également la marchande de chauve-souris ou celle de divers insectes et coléoptères à déguster frits. En principe s’y vend presque tout ce qui court, vole, rampe ou nage dans les environs. Ca et la, des jeunes filles viennent vendre des cônes faits en feuilles de bananiers qu’elles parent de fleurs oranges ou de frangipanier pour les offrandes dans les monastères. Il y a également nombre d’oiseaux encagés -à délivrer- (*). Après l’heure de la sieste, d’autres étals s’installent pour faire fonction de restaurant du soir -ou l’on trouve de délicieux poissons grillés à un ou deux euros-. Puis le “marché de nuit” ou les minorités ethniques -surtout des Hmongs- viennent vendre des produits de leur artisanat viendra animer et illuminer les rues adjacentes jusque tard dans la nuit
(*) le bouddhisme pronant le végétarisme, il convient que le fidèle qui a consommé des protéines animales puisse effacer la faute inscrite à son karma (**) en delivrant un animal, en principe un oiseau, encage pour l’occasion. Ce rite est surtout usité lors du Nouvel An, l’indulgence maximale étant atteinte lorsqu’on délivre, à Luang Prabang, un oiseau du sommet du Mont Phousi -une montagne sacrée-
(**) karma ou somme des actions qui se transmettent, via les réincarnations, d’un être vivant à un autre
(4) baci : pour les Laotiens, chaque personne possède 32 ”esprits protecteurs”. Il importe donc que cette personne soit en possession de ses 32 “esprits” à la veille de chaque événement important de sa vie pour lui assurer santé et réussite dans sa réalisation. Par exemple, à la veille d’un depart en voyage. Le cérémonial du baci commence donc par des prières incantatoires qui ont pour objet de “rappeler” tous nos “esprits” égarés, notamment lors de diverses pérégrinations. Ces “esprits” étant alors de retour, il convient de les “attacher” à la personne par la pose symbolique de fils de cotton autour des poignets de la personne en l’honneur de qui le baci est organisé. Après cette cérémonie a lieu le partage d’un repas
(5) sabaidee signifie “bonjour”
(6) ainsi, le colonel avait été envoyé en “camp de rééducation” pour 6 ans et demi au nord Laos
(7) cette évolution fut consacrée par l’UNESCO qui, en 1995, confera à la ville le titre de « Ville du Patrimoine mondial de l’Humanite »
(8) à la mi 1978, les nouvelles autorités politiques du Laos décidèrent la collectivisation du foncier. Cette volonté se traduisit par un total échec. Aussi, en décembre 1979, les autorités décidèrent officiellement de mettre fin à la collectivisation foncière -et également d’introduire quelques « souplesses » dans la commercialisation des produits agricoles-. Pour mette fin à une période d’incertitude juridique en ce qui concerne les droits de chacun sur le foncier qu’il occupait, une loi du 12 avril 1997 a précisé ces droits. Elle confirme d’abord que « la terre est la propriete exclusive de la communaute nationale ». Il n’y a donc pas de propriété privée au sens ou nous l’entendons en France. Mais cette loi permet la « location » du foncier, via des « organes de gestion », en fait, à ceux qui l’occupent . D’abord limitée à quelques annees, la durée de cette location a été étendue à 30 ans par une loi du 21 octobre 2003 et surtout a conféré au titulaire de la location « un droit de succession ». Par rapport à nos critères juridiques, on peut considérer que la “nue-propriété” appartient à la puissance publique et que l’occupant bénéficie d’une sorte “d’usufruit”. Dans la réalité, l’occupant des lieux fait ce qu’il veut tant qu’il habite sur place.
A la différence du Vietnam ou de la Chine, il n’y a donc pas eu au Laos de collectivisation -étatique- des terres. Au Vietnam, une première loi avait, en 1988, restitue les terres et introduit un embryon de système locatif, système élargi quelques années plus tard. En Chine, c’est en 1978 que l’évolution avait commence. Toutefois, selon la tradition, au Laos, les terres sont « propriété » royale
(9) la plupart des maisons des ethnies du sud-est asiatique sont construites sur des pilotis, qui, à l’origine, étaient en bois. L’origine de ce type de construction s’expliquerait par le souci de ses habitants de se proteger soit des bêtes sauvages et/soit des mauvais esprits. Par contre, les Vietnamiens (les Khins) et les Hmongs -une ethnie très présente au Laos, au Vietnam, en Thaïlande et en Birmanie- construisent leurs maisons à même le sol
(10) Luang Prabang compte 65 “villages”, chacun ayant à sa tête un maire (voir ci-après -15-)
(11) situées à la confluence du Mékong et de la rivière Nam Ou, les grottes de Pak Ou sont un lieu de pèlerinage très fréquente. Elles contiennent 4 000 statues de Bouddha de style lao
(12) près de 10 000 habitants de Luang Prabang auraient émigré à l’étranger après 1975
(13) italien (!) – rien n’est parfait en ce bas-monde
(14) à noter qu’aucune femme n’est présente à ces petits déjeuners… Il est vrai qu’ « elles ont tant à faire à la cuisine ».
(15) Luang Prabang comprend 65 “villages” ayant chacun à sa tête un “maire”. Il est “élu” pour deux ans sur la base d’une candidature unique désignée par le « Parti Populaire Révolutionnaire » -et rééligible-. Des missions du Ministère de l’Intérieur viennent vérifier s’il remplit “correctement” sa tache. Ses fonctions : état-civil, règles d’urbanisme et sorte de “juge de paix”
(16) né en 1907, Sisavang Vatthana fut Roi du Laos de 1959 à 1975. Après la prise de pouvoir par le Pathet lao pro-communiste, il fut d’abord nommé « Premier Conseiller » du Président -titre purement honorifique-, puis, en mars 1977, envoyé, avec sa proche famille, dans un camp de rééducation du nord Laos. Plus personne n’entendit alors parler de lui. Selon plusieurs témoignages concordants, il ne semble pas qu’il ait été supprime par le nouveau pouvoir, mais qu’il serait mort d’épuisement ou de maladie, les autorités politiques ayant alors voulu cacher la date et les conditions de sa disparition pour éviter tout culte à son égard
(17) Kham Ouane (1885 – 1915) était la première épouse (*) de Sisavang Vong, né en 1885, 13ème Roi, de 1904 à son décès en 1959. Il eut 15 épouses et 27 enfants. Kham Ouane mourut en couches lors de la naissance de son sixième enfant. Deux seulement ont survécu dont Sisavang Vatthana (voir 16 – ci-dessus), deuxième enfant du couple royal, Prince héritier et dernier Roi du Laos.
(*) sur l’acte de naissance d’un enfant de sang royal, on indiquait, outre le nom de l’enfant, celui du père et celui de la mère, mais, en ce qui la concerne, accole à son rang dans la hiérarchie des épouses
(18) autour de la tombe royale de la reine-Mère, je découvre de nombreux tombeaux de dimension réduite. Je m’enquiers de leur origine. Il s’agit des tombes des enfants de la famille royale, non incinérés, car la pratique d’alors était de ne pas incinérer -mais enterrer- les enfants qui n’ont pas encore de dents car ils n’ont pas alors pas de « karma ».
Étaient également enterrés -et non incinérés- toutes les personnes décédées de mort violente, car ce type de décès était contraire à la philosophie bouddhiste. Il en résultait que les Laotiens d’alors rechignaient à devenir soldats, car la mort au combat leur interdisait l’incineration et, donc, la possibilite d’une réincarnation correcte. Leurs âmes étaient alors condamnés à errer indéfiniment
(19) réservé aux Chefs d’Etat, ce modèle ne figure même pas sur le catalogue Mercedes !
(20) voir : feuille de route 18 : « bouddhisme et politique »
(21) M. Taphan et surtout son épouse ne manquent aucune occasion pour honorer le temple voisin et célèbrent avec ferveur toutes les fêtes religieuses
(22) arrive comme militaire dans cette ville à 20 ans en 1947. La vie de garnison devant être peu intense dans la capitale royale (*), il fut mis à disposition du collège de la ville, dirigé par M. Desproges -le père de l’humoriste (!)- pour les activités physiques de l’établissement scolaire. Dans la suite de cette activité, il y lança les premières sections de scouts laotiens dans le cadre d’une association présidée par le Prince héritier.
Apres avoir quitté l’armée et mène une vie professionnelle en France dans le secteur commercial, il revint à Luang Prabang au début des années 1990. Il y réside depuis . Lors de son retour, il joua -de fait- le rôle de Consul Honoraire.
Il est vraisemblablement le meilleur connaisseur francophone des réalités historiques, sociologiques et politiques de Luang Prabang et un des meilleurs connaisseurs du Laos. Il dispose d’un bon réseau relationnel dans tout le pays et à tous les échelons (économique, politique) grâce à son ancienne activité de responsable des scouts laotiens. Il a une des plus complètes bibliothèques -en français- sur le Laos, à disposition de tous les chercheurs ou étudiants.
Il est également un des témoins directs des événements qui ont secoué l’Asie du sud-est après la seconde guerre mondiale. Il consacre également une partie de son temps à l’entretien de la tombe d’Henri Mouhot, le découvreur d’Angkor, décédé à l’age de 35 ans à Luang Prabang en 1861
(*) début 1953, on dénombrait une quarantaine d’étrangers -essentiellement des Français-, y compris les militaires, habitant à Luang Prabang. En 2008, il y aurait une soixante de Français -dont de nombreux bi-nationaux- « résidants principaux » à Luang Prabang
(23) lire “Lokapala” de Henri Deydier – “Lokapala” est le nom donné aux génies qui protègent les frontières du pays
(24) cela signifie que, pour un Laotien, mais pour un Asiatique en général, des « esprits » peuplent l’univers. Les sédentaires - ils siègent dans un rocher, dans un arbre, dans un fleuve, etc.. - sont, en principe, des esprits bienveillants; il convient donc surtout de ne pas troubler leur quiétude et de leur aménager une « maison des esprits » -que l’on trouve devant chaque demeure- afin qu’ils continuent à protéger le sol, les cultures, les habitants ou la maison. Les Phi « voyageurs » ou mobiles sont des esprits malveillants qu’il convient de toujours tenir à distance, à peine de malheurs ou désolations.
Ainsi, par exemple, pendant la période coloniale, lors de la construction d’une route, les autorités locales intervenaient fréquemment pour supplier l’Administration « technocratique » française de bien vouloir épargner un arbre ou un rocher, certes bien gênants pour la rectitude de la construction envisagée, mais « intouchables » pour les autochtones car servant de refuge à des « esprits ». Il est alors facile d’imaginer combien d’incompréhensions ont pu -et peuvent encore- surgir entre un occidental « rationaliste » et un Asiatique
(25) ce qui posa d’immenses problèmes pour les procédures d’adoption, la mère refusant de signer quoi que ce soit. Il fallut la signature de trois Ministres laotiens et du Premier Ministre pour déroger à une convention franco-laotienne sur l’adoption
(26) personnellement, je pensais que les seuls accidents de “travail” au Laos ne pouvaient être occasionnés que par une boule de pétanque mal dirigée