Jmg 01-2009
Le 23/04/2009
Feuille de route 22 - Laos en pointillé
Jmg 01 2009
Le 11/03/2009
Lorsque j’ai commencé à parcourir le monde (il y a déjà ... une quarantaine d’années), il ne fallait guère espérer pouvoir rester en contact régulier avec ses proches.. Une lettre postée en Inde ou aux Philippines mettait bien souvent un mois pour atteindre son destinataire.... quand elle lui parvenait. Depuis, Internet a considérablement « raccourci » ou « accéléré » le temps.. Meme dans une ville reculée du Laos ou du Viet nam, on trouve aujourd’hui, presque toujours, un micro-ordinateur et une liaison pour envoyer des nouvelles du jour a ses proches... Initialement, toutefois, jamais, je n’avais eu l’intention de présenter, sous une forme structurée, par ce mode de communication, des pensées qui me venaient à l’esprit ou un récit des événements vécus.
C’est alors qu’un collègue de travail, volontaire dans une ONG -organisation non gouvernementale- à Siemreap (nord Cambodge) au début des années 2000, m’envoya un fichier avec ses 24 « Lettres » -une par mois passé en Asie-.. M’inspirant de cette idée, je décidais de faire paraître dans un meme texte appelé « feuille de route » -dénomination qui vient du thème de la première feuille consacrée à la circulation routière au Viet Nam- ce qui figurait jusqu’alors dans différents courriels...Formule qui présente notamment le grand avantage de pouvoir rester en contact avec un nombre plus important de relations que l’envoi de courriels individuels.
Depuis, se sont succédées plus d’une vingtaine de « feuilles », sans autre plan préconcu que le souhait de vouloir faire partager à des connaissances une idée, une impression, un événement ou un sentiment..
D’ailleurs, quand j’ai terminé une feuille de route, je pense toujours que ce sera la dernière car je ne vois pas ce qui pourrait m’inspirer demain... Mais, en fait, à peine reposé le clavier de l’ordinateur, voilà que surgit dans mon esprit une idée, une impression, un sentiment.. Je le note et me voilà parti pour une nouvelle « feuille »... C’est aussi simple que cela.. sauf que je suis incapable d’écrire sur un pays lorsque je ne m’y trouve pas..et.. qu‘il me faut quand même consacrer de nombreuses heures à des recherches et à la rédaction de chaque note..ce qui, en contrepartie, nourrit mon secret espoir de –peut-être- ralentir l’assoupissement ou la disparition de mes neurones ou mes cellules grises.
Autre secret espoir, celui de faire apprécier -ou au moins mieux faire connaître- au plus grand nombre possible de lecteurs ces pays que j‘aime tant. D’ailleurs, à chaque nouvel envoi, mon cercle des destinataires s’élargit. J’ai envoyé la précédente feuille à 175 personnes.. Certains destinataires la mettent sur un blog, voire un site. J’ai ainsi reçu des courriels de lecteurs qui avaient découvert la « feuille » sur un autre support que celui d’origine et me demandaient des renseignements -souvent d’ordre pratique- sur tel lieu mentionné ou sur les conditions d’un voyage à tel ou tel endroit.
Il m’arrive aussi, entre deux feuilles de route, de recevoir des appels de destinataires habituels qui me demandent : « à quand la prochaine..il y a bien longtemps que nous n’avons rien reçu.. », ce qui fait toujours plaisir..
Je recois en moyenne environ vingt-cinq à trente réactions dans les jours qui suivent l’envoi d’une feuille.
Environ la moitié de ces courriels me signalent leur satisfaction d’avoir ainsi eu de mes nouvelles.
L’autre moitié est plus critique -au sens général du terme-. Ce qui, à chaque fois me frappe dans ces dernières réactions, c’est que ces lecteurs critiques font une interprétation différente du même texte, et, qui plus est, ... une interprétation qui est trés rarement celle que je voulais faire passer. Ainsi, dans la dernière feuille de route « Cambodge – pauvre à jamais ? », mon idée de départ était de réagir contre tous ceux -et ils sont nombreux.- qui, dans ce pays, croient pouvoir apporter- aux évidents problèmes rencontrés par le Cambodge- LA solution de l’extérieur à partir de recettes « techniques » bien souvent copiées sur une expérience extérieure, alors que la réalité, est, à mes yeux, bien plus complexe.
En fait, je constate que chacun lit la feuille à partir du prisme de ses propres préoccupations ou phantasmes (1) .. C’est donc une phrase ou une affirmation qui va faire réagir un lecteur, mais très rarement le sens général -ou le message- que l’auteur a voulu faire passer.
Même pas toujours compris (vraisemblablement parce je ne me suis pas clairement exprimé), toutes ces réactions me ravissent car elles prouvent que le texte « vit ».
Enfin, certaines réactions m’interpellent. Ainsi, toujours suite à la diffusion de la dernière feuille de route consacrée au Cambodge, j’ai recu d’un étudiant vietnamien actuellement en thèse à Paris, la remarque suivante : « il est vrai que nombre de pays asiatiques et surtout nombre de leurs habitants doivent faire face à d’énormes difficultés. Mais pourquoi les occidentaux s’intéressent-ils à l’amélioration du sort des « pauvres », et, qui plus est, dans des pays qui leur sont étrangers ?«. Ce qui nous renvoie à la définition de la civilisation donnée par Darwin et de son indispensable dose d’« altruisme » (2).... En même temps, cette question est, à mes yeux, une réponse à tous ceux qui, dans nos pays occidentaux, se lamentent très -trop- souvent sur la « décadence » de notre civilisation. Aussi longtemps qu’elle saura pratiquer cet altruisme, une civilisation restera « vivante ».
Après ce long prologue -et j’espère que vous me pardonnerez de m’être permis, une fois n’est pas coutume,- d’avoir parlé de moi-même, me voici donc au pied d’une nouvelle feuille.. Qu’y écrire ?
J’ai décidé d’innover, enfin, juste un petit peu..Plutôt que de raconter une histoire ou de développer un thème, j’ai décidé -peut-être que le climat laotien qui ne prête pas toujours à la concentration intense y est pour quelque chose (3 )- d’innover dans la présentation..
Dans cette feuille, je vais plutôt relater quelques histoires, comme des nouvelles, sans lien entre elles.
Dans la prochaine, je reprendrai peut-être le cours habituel des choses. . mais je vous signale dés maintenant que je ne désespère pas -mais au rythme lao, c’est -à-dire à une période indéterminée- soit de compléter des feuilles par des photos, soit de réaliser des envois uniquement consacrés aux photos (4).
Mais pour l’instant, place au pointillisme (5).
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Que faire de ses journées à Luang Prabang, ville où je passe l’essentiel de mon temps laotien (6) ?
Luang Prabang est, à mes yeux, la ville la plus touristique de ce pays de 236 000 km2. Capitale du premier royaume qualifié de « lao » (7), elle recèle des merveilles. D’abord son site extraordinaire constitué de deux vallées encaissées au confluent de la Nam Khan et du Mékong, et surtout son patrimoine historique et culturel (un quart de la superficie de la ville est constitué de bâtiments religieux).
La plupart des touristes consacrent d’ailleurs l’essentiel de leur séjour à la visite des nombreux temples de la ville et des lieux sacrés, notamment du site de Pak Ou -à 25 km en amont de la ville où sont entreposées 4 000 statues de Bouddha-. D’autres, cédant aux sollicitations des conducteurs de tuk-tuk (8) vont découvrir les chutes de Tat Kuang Si à 32 km en aval du Mékong. Pour parfaire ses connaissances historiques, une visite de l’ancien Palais Royal transformé en musée national s’impose. Les plus intrépides s’inscrivent à des ballades -à pied, en vélo, moto, canoe-kayak, rafting ou à dos d’éléphant- dans les environs. Luang Prabang peut aussi être le point de départ de circuits vers la plaine des Jarres où les villes du nord (Phongsaly, Luang Nam Tha, Oudomxay, etc) où résident de nombreuses ethnies minoritaires (9). Enfin, rares sont ceux qui ne se laissent pas tenter par les marchés -celui du matin et surtout celui du soir ou les marchand(e)s, très majoritairement issus de la minorité Hmong, vendent des produits d’artisanat local-…Nombreux sont ceux qui vont découvrir le village des tisserands (Ban Xang Khong) après avoir franchi un vieux pont métallique -dit « pont des Français »-, en amont de la ville, le long du Mékong … Reste enfin, à faire un petit tour sur la rive droite du fleuve pour découvrir le village des potiers (Ban Chan) en aval de la ville et les temples sis en face de Luang Prabang.
Il y a aussi les nombreux temps consacrés aux fetes (10)… Il y a les fêtes familiales (pour célébrer un mariage, une naissance, un anniversaire, une ordination et surtout un enterrement) que l’on croise quotidiennement dans chaque rue et à laquelle les « étrangers » sont naturellement invités (11). Il y a aussi toutes ces fréquentes fêtes qui mettent la ville en émoi : fêtes nationales : fête de l’Indépendance, fête des femmes, etc...; fêtes liées plutot aux « esprits « : fête des moissons, fête des eaux, fête des fusées ; fêtes à connotation plus bouddhiste (fête de la prédication de Bouddha, fête de l’avant-derniéère incarnation de Bouddha (12), fête de la naissance et de la mort de Bouddha, fête de la retraite des pluies, fête des morts, fête de la fin de la retraite des pluies) et surtout la fête de la Nouvelle Année (appelée Pimai – à la mi-avril). Dans les autres pays bouddhistes (ceux du bouddhisme du petit Véhicule-13-), voire dans les autres villes laotiennes, cette dernière fête dure trois jours. Ici, elle va durer dix jours. Mais mieux sortir avec son parapluie (14) .
Restent les ineffables couchers de soleil sur le Mékong, lorsque le disque de feu disparait derrière les montagnes environnantes et que les eaux du fleuve s’embrasent au soleil couchant. Le spectacle des bateaux traversant alors le fleuve où des pecheurs jetant leurs filets à contrejour est un de ces spectacles dont on ne se lasse jamais. Des moments d’éternité.
Enfin, comment ne pas gouûer ce charme infini des rencontres avec les moines ou les novices ou tout simplement avec les habitants. Car, ici, on y rencontre plus qu’ailleurs cette indéfinissable atmosphère de l’art de vivre laotien résumée par l’expression : « Bo pen Nhang » - « ça n’est pas grave… » (15) .
Tout cela permet au moins une semaine d’activités diverses. Il suffit d’ailleurs de consulter les guides ou les brochures touristiques pour avoir le détail de ces possibilités nombreuses et variées. Ce n’est donc pas de cela dont je veux vous entretenir, mais plutôt de deux endroits encore largement inconnus des visiteurs étrangers . En avant pour une petite leçon d’histoire.
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la maison de Pethsarath
“Voilà. C’est ici, dans la maison de Pethsarath située dans le village de Xieng Keo, qu’était le siège de l’association des scouts du Laos..” C’est ainsi que Guy Lherbier, un Français qui a pris sa retraite au Laos, depuis 1990 (16) me fait découvrir cet endroit magique.
Tout cela nécessite quelques explications.
Rares sont les Français qui connaissent Pethsarath (1890 – 1959). D’une époque relativement récente, celle de l’après deuxième guerre mondiale, certains lecteurs ont peut-être encore en mémoire quelques noms attachés à l’histoire du Laos après 1945, et notamment ceux des “Princes et frères ennemis” -Souvanna Phouma et Souphanouvong- (22) qui se disputèrent le pouvoir dans un pays déchiré par les soubresauts de la fin de l’ère coloniale française et les débordements de la guerre du Viet Nam..
Pethsarath est pourtant, encore aujourd’hui, vraisemblablement l’un des hommes parmi les plus connus et les plus vénérés au Laos. L’hommage qui lui est rendu est certes celui des autorités officielles du pays puisqu’il fut un des premiers, sinon le premier héraut des mouvements d’indépendance (17). Mais il est d’abord celui du peuple lao. Pourquoi ?
Pethsarath est né en 1890 dans la famille royale. Son arrière-arrière grand-père (Anourouth – roi du Laos de 1781 a 1817) était aussi celui du Roi alors régnant, Sisavang Vong (1904 - 1959). De plus, il avait épousé -en premières noces- la soeur aînée de ce Roi.
Et surtout, son père Bounkhong avait été “Vice-Roi” -appelé au Laos : “Oupahat”- (18). Certes la fonction de Vice-roi, vraisemblablement jugée inutile et onéreuse, avait été théoriquement supprimée au Laos par l’administration française en 1920, mais il est certain qu’elle restait dans les coeurs et les esprits des Lao (19), au point que la même administration rétablit ce titre en 1941 (20) au bénéfice de Pethsarath, tout en cherchant toutefois à orienter la fonction vers celle d’un Premier Ministre gouvernant le pays, au moins sur le plan administratif.
En 1945, Pethsarath était persuadé que l’époque du colonialisme francais était terminée. Il lança un mouvement politique (Lao Issara – le « Laos libre » ) qui prit le pouvoir à Vientiane pendant l’automne de cette année. Commenca alors une « longue marche » vers une indépendance qui ne se réalisera jamais vraiment. Pethsarath devait en effet de se concilier des forces contraires tout en se démarquant d’elles (21). Il rompit avec le francophile Roi Sisavang Vong -partisan du retour des Francais- tout en ménageant le trône. Il craignait beaucoup son demi-frère, le pro-vietnamien Souphanouvong (22)..qu’il fit entrer, en octobre 1945, dans le premier gouvernement Issala avec l’espoir de pouvoir ainsi étouffer les mouvements pro vietminh de l’oncle Ho Chi Minh..qui avaient alors le soutien diplomatique et militaire-on l’oublie parfois- des Américains, désireux de « se débarrasser à jamais de l’ « ére coloniale francaise ». Il lui fallait également, toujours pendant l’automne 1945, négocier le départ des forces armées japonaises sans que celles-ci ne renforcent les mouvements pro-vietnamiens et surtout gérer l’arrivée des forces chinoises de Chang Kai Chek qui, en application d’un accord international dit de la Conférence de Postdam, signé le 23 juillet, étaient chargées de « désarmer les troupes japonaises » au nord du 16éme parallèle (23). En réalité, Chang Kai Chek envoya au nord de l’Indochine des généraux-brigands qu’il ne maitrisait guère et qui se révélèrent être plus des pillards que des soldats. Pour son ravitaillement, il devait également obtenir le soutien de la Thailande tout négociant la récupération des territoires que le Laos avait dû, le 9 mai 1941, céder à son voisin thailandais, alors allié du Japon et belligérant avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Quant aux militaires Francais soit rescapés de la « purge » japonaise de mars 1945 soit parachutés, ils entretenaient des guérillas sur une partie du territoire, reprenant ou se retirant des villes. (24)
Apréès avoir connu l’exil, Pethsarat revint en 1957 au Laos après avoir obtenu du Roi Sisavang Vong la restitution de son titre d’Oupahat. Il préféra alors se réinstaller, à Luang Prabang, dans sa maison de Xieng Keo.
Il reste vraisemblablement l’un des hommes politiques les plus respectés auprès des Lao car il incarne pour eux un idéal politique : celui qui a voulu une réelle indépendance du pays, hors de la main-mise des grandes puissances (France, puis Etats-Unis ou URSS) et des visées expansionnistes de ses voisins (Viet Nam, Chine et surtout Thailande). Cet idéal -qui fut repris par le mouvement « neutraliste » (1960 – 1964) animé par Souvannah Phouma (22), partisan d’un Laos à l’écart des visées des pro-communistes et des pro-Américains-, s’est toutefois heurté aux dures réalités de la politique : le Laos, pays sans accès maritime, aux communications difficiles, ayant longtemps vécu en autarcie avec ses ethnies (9) et surtout sans ressources humaines n’a pas les moyens de vivre en dehors des « influences » tutélaires de ses plus puissants voisins ou des grandes puissances avec lesquels il doit composer en permanence (25).
Le prestige de Pethsarath tient aussi -nous sommes en Asie- à ce qu’il était considéré par nombre de Lao comme “invulnérable”. Il s’agit d’une croyance, liée vraisemblablement au culte des esprits selon laquelle les personnes qui parviennent “au quatrième stade de la concentration (sic) ” sont réputées “invulnérables”. Si cette “invunérabilité” ne fut jamais mise à l’épreuve de la balle ou du couteau d’un opposant, par contre les biographes de Pethsarath content que son don particulier s’était manifesté pour “arrêter” des tigres, des éléphants en furie, des caimans et autres crocodiles...
J’arrêterai là ce petit cours d’histoire pour revenir à « la maison de Pethsarath» ..que très peu de touristes viennent découvrir… .
Et pourtant, l’endroit est sublime, peut-être le plus saisissant de tout Luang Prabang. De la hauteur sur laquelle a été construite la maison, on surplombe toute la vallée du Mékong sur une dizaine de kilomètres. A droite, vers le nord, au bout d’un long ruban paisible, on devine la capitale royale et le Mont Phousi (26). A gauche, le Mékong semble s’encastrer dans des montagnes en flots tumultueux. Les couleurs, jaunes, ocres, violettes avec des tâches de vert sont toujours extraordinaires, bien souvent estompées par les brumes matinales ou de chaleur ou, en février-mars, par les fumées de l’essartage (27). Cet endroit stratégique avait d’ailleurs, après le départ des forces militaires françaises, en 1955, été choisi par les Américains pour y installer des « experts» (28) et une piste d’atterrissage.
Sublime le cadre de la maison au milieu des bassins, remplis de nénuphars, dans lesquels se reflète la maison au milieu d’arbres en fleurs toute l’année et de plantes odoriférantes.
Sublime également la « petite » maison du Vice-Roi Pethsarath. Un Français s’attend à trouver une copie du château de Versailles ou de Vaux le Vicomte. Il s’agit en fait d’une maison à un étage d’environ 250 mètres carrés au sol. Des pièces émouvantes dans leur simple nudité d’aujourd’hui. Au premier étage, des chambres et le bureau de Pethsarath ainsi qu’un petit autel où des Lao viennent réguliérement se recueillir. Cet étage vient d’être transformé en petit musée.
Mais pourquoi diable aucun touriste ne vient visiter la maison de Pethsarath ?
Il faut d’abord savoir qu’elle n’est répertoriée dans aucun guide et surtout qu’il faut oser y accéder. Car le terrain entourant la maison a été rétrocédé à une société thailandaise qui y a installé un ensemble hôtelier -heureusement en harmonie avec le site-. Il faut donc franchir une des portes d’accès du « grand hôtel » gardée par un cerbère en tenue militaire, répondre à son garde-à-vous et enfin traverser une partie des batiments de l’hôtel avant de découvrir la maison. Le tout sans aucune signalétique.
J’avais bénéficié du concours de Guy Lherbier pour franchir tous ces obstacles. Il s’y trouvait comme un poisson dans l’eau, puisque, ainsi que signalé en préambule, la maison de Pethsarath fut un des lieux qu’il fréquenta le plus entre 1947 et 1954, période de son premier séjour à Luang Prabang en tant que militaire. A cette époque, son affectation aux comptes de son unité militaire lui laissant un temps « disponible » certain, il accepta d’être aussi le « professeur de gymnastique » du collège de Luang Prabang. Cette tâche l’amena à lancer le scoutisme au Laos (29). A cette fin, il créa une association des scouts qu’il fit présider par le Prince héritier, Savang Vathana. Celui-ci mit alors à sa disposition la “maison de Pethsarath” (30) comme siège des activités de l’association. Et voilà comment j’eus la chance de découvrir la “maison de Pethsarath”.
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la tombe d’Henri Mouhot… et le kilométre zéro
- « Etes-vous libre demain ? »
- « oui, mais, je suis avec trois représentants d’une ONG » (31).
- « pas de probléme (32), nous allons tous voir la tombe d’Henri Mouhot ».
C’est ainsi que Guy Lherbier nous entraine tous découvrir la tombe de cet explorateur français qui mourut, il y a bientot 150 ans, à Luang Prabang.
Mais qui était Henri Mouhot ?
A la fin des années 1850, lorsque Mouhot se lance dans l’exploration de l’Indochine, cette zone -dont l’occident avait pourtant acquis une certaine connaissance entre 16ème et 18ème siècle grâce à quelques hommes d’aventures (mercenaires, missionnaires, marchands, etc..)- était redevenue pour les Européens une « terre inconnue ».
En effet, à la fin du 18ème siècle, tous les pays de la région avaient traversé de graves crises : le Laos ne cessait de se fragmenter en principautés rivales ; la Birmanie avait mis à sac la capitale siamoise (Ayutthaya) en 1767 tandis que la révolte des frères Tay Son (1773) mettait à feu et à sang les régions couvertes par le Vietnam et le Cambodge.
Quantà l’Europe, elle allait davantage se préoccuper de la Révolution française et des guerres napoléoniennes que du sud-est asiatique.
Conséquence : au milieu du 19ème siècle, plus personne en Europe ne sait à quoi ressemble l’intérieur de la péninsule..Angkor est alors tant effacé dans les mémoires occidentales que le descriptif de ce site rédigé par Henri Mouhot le fit considérer en occident comme le découvreur de la cité impériale, ce qui est inexact puisque ainsi qu’Henri Mouhot le précise lui-même les Khmers n’ont jamais cessé de visiter le site.
Parti d’Europe en 1858, il avait assigné à sa mission scientifique trois objectifs : explorer le Siam, puis le Cambodge -voyage au cours du quel il « redécouvrit « Angkor- et enfin redescendre le Mékong à partir de Luang Prabang. C’est au cours cette troisième mission qu’il trouva la mort dans la cité royale, le 10 novembre 1861, rongé par les « fiévres » à l’âge de 35 ans. Ses accompagnateurs purent obtenir qu’il fut enterré sur son lieu de décès (33), à environ 5 kilomètres de la ville, le long d’un affluent du Mékong qu’il rejoint à Luang Prabang, la Nam Khan. Une autre expédition, celle de Doudart de Lagrée et de Francis Garnier (34) fit, en mai 1867, ériger un tombeau en surplomb d’une quinzaine de mètres par rapport à l’arbre sous lequel Henri Mouhot était décédé. Située à proximité du fleuve, sa sépulture était en effet parfois recouverte par les hautes eaux de la Nam Khan lors de la saison des pluies. Pavie fit réaliser quelques aménagements en 1887. Il semble qu’ensuite bien peu de personnes se soient souciées du sort des restes de l’explorateur. Pierre Dupont-Gonin, dans son livre « l’opération Hmong en Guyane française en 1977 » signale toutefois s’y être rendu deux fois avant 1975. Une mission de la ville de Montbéliard -ville d’où est originaire Henri Mouhot-, passant à Luang Prabang en 1990, fit apposer une plaque « à la gloire de son illustre concitoyen ». En réalité, la mise en valeur, voire le redécouverte des lieux est l’oeuvre de Guy Lherbier. Celui-ci, revenu dans la ville en 1993, décida en effet de se consacrer à la restauration de la sépulture. Il fit aménager un chemin d’accès -jusqu’alors, on ne pouvait accéder au tombeau qu’en franchissant un terrain accidenté et en pente recouvert de broussailles et d’arbustes-, fit défricher le terrain et surtout l’aménagea : construction de buses pour éviter que les eaux descendantes n’emportent le sol et ne dégradent la tombe, création de marches pour accéder à la sépulture, installation de lieux de repos a proximité (tables, chaises, etc..). Son dernier aménagement date du début de cette année. Il vient de faire installer, surplombant le tombeau, deux statues : celle d’un éléphant (35) et surtout une statue représentant Pavie (36) . Quelques mots sur cette statue. Il existait deux statues de Pavie -en bronze- réalisées en 1933 par le sculpteur P. Ducuing : une se trouvait à Vientiane et la seconde trônait au milieu du « grand » carrefour de Luang Prabang d’ailleurs appelé « place Pavie », et ce jusqu’en 1958. Les autorités françaises furent alors priées de transférer les statues de celui qui incarnait la colonisation française dans des endroits moins « voyants ». Celle de Vientiane fut alors placée à l’Ambassade de France -où elle est toujours- et la seconde fut installée dans le jardin de l’Attaché militaire français à Luang Prabang, jusqu’en 1975. L’effondrement du régime en place au sud Vietnam et l’arrivée des Khmers rouges au Cambodge allaient, au Laos, entrainer l’arrivée au pouvoir du « Prince rouge » -Souphanouvong (22)-. Selon les rapports de l’Attaché militaire, la statue de Pavie, bien que située dans le jardin de sa résidence, devint, pour les nouveaux maitres des lieux, le symbole de l’oppression française, et l’objet de menaces repétées de détérioration. L’Attaché militaire décida alors de « disloquer la statue avant de la jeter dans le Mekong « (37). Faute de pouvoir la récupérer (38), Guy Lherbier fit réaliser une troisième statue -une copie exacte à partir du même moule- qu’il placa d’abord dans l’arrière-jardin de sa maison, puis, en mars 2009, transféra en surplomb de la tombe d’Henri Mouhot.
Mon attention fut également attirée par une borne kilométrique (39) et intriguée par l’inscription qui y était portée : « kilomètre zéro ».
Que venait faire cette borne en léger surplomb de la tombe d’Henri Mouhot ? que signifiait l’indication portée dessus ?
A ma question, Guy Lherbier répondit par une autre question : « que pensez-vous de cet endroit ? » La vue dont on jouit depuis l’espace où se trouve la tombe d’Henri Mouhot est d’une beauté saisissante. En contrebas, la Nam Khan se fraie un chemin dans une vallée encaissée. Et puis, toujours ce mélange de couleurs ocres, mauves et vertes. En face, sur l’autre rive, un centre pour éléphants propose diverses activités. En aval, un village de pêcheurs. En surplomb, un autre village d’où retentit parfois la cloche du Vat. L’endroit est d’ailleurs, au fil des années, devenu un des endroits de promenade favori des habitants de la ville qui, le dimanche, viennent y pique-niquer, s’y baigner, ou y laver leur voiture ou leur moto. Certains viennent même se recueillir, ou se faire photographier près de la tombe d’Henri Mouhot, et y apporter des fleurs... Régulièrement des fêtes ont lieu le long de la rivière donnant à cet endroit une animation colorée et musicale avant que ne retombe, en semaine, le silence propre aux lieux de recueillement.
Je dus donc avouer à Guy Lherbier que cet endroit alliait à la fois majesté, paisibilité, beauté et force d’une nature qui semblait éternelle. Un bel hommage aux manes d’Henri Mouhot.
Je reçus alors l’explication du kilomètre zéro : « le kilomètre zéro, c’est pour moi... Lorsque je quitterai cette terre, après mon incinération, je souhaite que mes cendres soient placées, ici, sous cette borne, prés d’Henri Mouhot » (40).
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le fils “perdu”
Il y a une quinzaine d’années, une dame laotienne, d’environ 60 ans, allait à la rencontre des -encore rares- étrangers qui passaient à Luang Prabang, et, après s’être assurée qu’ils étaient francophones, leur contait son “drame” en une phrase lapidaire: “on m’a volé mon fils”.
Un Francais (Pierre Perrot} qui venait de s’installer dans cette ville pour y gérer l’hôtel Savannahphoum voulut en savoir davantage.
La dame ne se fit pas prier pour donner des explications. Mais d’abord, il faut rappeler le contexte historique d’une époque fort troublée.
Nous sommes en 1954. La situation était alors très tendue au Laos. Certes chacun se souvient que les trois pays de l’Indochine (41) étaient plongés dans les affres d’une guerre qui avait militairement commencé après la capitulation des Japonais en 1945. Mais, bien souvent, on limite cette guerre au Viet nam (42) et à son point d’orgue : Dien Bien Phu (le 7 mai 1954). Or si le Laos a certes échappé à cette guerre dans ses débuts, la situation a fortement évolué à partir de 1953 lorsque le Général des forces armées Viet Minh (Giap) décide de lancer ses troupes sur le Laos. Une première offensive a lieu début 1953. Mais au début de la saison des pluies (mai), Giap retire ses forces du nord Laos. Ce n’était qu’un galop d’essai puisque, en octobre 1953, il décide de faire porter son effort prioritairement sur le Laos. Une partie du nord et de l’est du pays (les régions de Phongsaly et Sam Nua) passent alors sous le contrôle de la guérilla communiste -alors appelée Pathet Lao- et de ses alliés vietnamiens (Viet Minh). Selon l’historien Jacques Dalloz, Giap aurait pris la décision de porter son effort militaire sur le Laos a cause de la difficulté à contrôler militairement les villes du delta du Tonkin (la capitale Hanoi et le port d’Haiphong) et pour étendre un conflit jusque la essentiellement vietnamien. Ce serait d’ailleurs, toujours selon Jacques Dalloz, pour contrer ce début d’invasion du Laos que les autorités françaises auraient pris la décision de faire de Dien Bien Phu un camp retranché puisque la vallée dans laquelle est sise cette ville commande l’entrée nord du Laos à partir du Viet Nam et la route qui mène à la capitale, Luang Prabang.
Or le 7 mai 1954 Dien Bien Phu tombe alors qu’une conférence internationale (dite de Genéve) est réunie pour décider de l’avenir de l’Indochine “française”, ce qui fut fait le 20 juillet 1954.
La toile de fond ayant été rappelée, revenons à notre histoire du fils « perdu”..
La dame qui affirme que son fils avait été volé avait alors une vingtaine d’années. Elle habitait alors dans l’est du pays (prés de Sam Nua) et avait fait, en 1951, la connaissance d’un officier français qui logeait dans une maison louée par sa famille. De cette liaison, s’annonca une naissance qui eut lieu en 1952. L’officier, un lieutenant, voulut alors épouser sa compagne, mais se heurta au refus de la famille laotienne. Elle était disposée a donner son accord à condition que le Lieutenant s’engage à rester au Laos…
Arrive l’été 1954 et la fin de la présence militaire francaise. Le Lieutenant n’a alors qu’une idée en tête : sauver son fils alors âgé de deux ans en lui faisant quitter le pays..
Mais comment faire ? Impossible d’emmener officiellement un enfant avec le corps expéditionnaire qui, en application de accords de Genéve de juillet 1954 devait avoir évacué le Laos « dans un délai de 120 jours ».
Le Lieutenant eu alors recours à des complicités internes... Un jour de l’été 1954, sous un prétexte quelconque, il emmène son fils vers le terrain d’aviation, là où vient se poser l’avion de l’aéropostale qui, de Vientiane, amène le courrier aux quelques militaires français encore en poste dans la région de Sam Nua, et au moment du décollage, il saute dans la carlingue avec son fils dans ses bras.
Que se passa-t-il alors ? Nul, sauf l’intéressé direct, ne saurait le dire.
Toujours est-il que plus personne n’entendit parler de l’enfant, sauf à se promener, vers 1995, à Luang Prabang et d’y rencontrer une Laotienne qui se lamentait dans les rues de la ville en déclarant à qui voulait l’entendre : « on m’a volé mon fils... ».
Emu par le malheur réel de cette dame, Michel Perrot décide de l‘aider, mais comment faire ? où était l’enfant, maintenant devenu adulte ? au Laos ? en France ? du reste, était-il toujours en vie ?
En fait, le restaurateur avait une idée en tête lorsqu’il décida de se porter à l’aide de la dame laotienne. Il contacta en effet alors les réalisateurs d’une émission de télévision française qui se faisaient fort de retrouver des personnes « perdues de vue ».
Les responsables de l’émission donnèrent leur accord pour entreprendre les recherches. En vain.
C’est alors qu’intervint Guy Lherbier, cet ancien militaire français en poste à Luang Prabang (1947 - 1954) et qui, après une vie professionnelle civile en France -à Arras- fort activé, vint y prendre sa retraite au début des années 1990. Il y exerca -de fait- les fonctions de Consul honoraire. Dans le cadre de cette activité, il vint a rencontrer Pierre Perrot qui lui conta ses efforts pour retrouver le fils « perdu ».
Guy Lherbier s’adressa alors au service de l’Etat civil sis a Nantes qui enregistre toutes les naissances de Français nés à l’étranger. Mais ce service ne peut déférer aux demandes de recherche sans une autorisation judiciaire ou sans l’autorisation administrative du Préfet du département. Guy Lherbier décida alors de faire appel à un Préfet dont il avait fait la connaissance à Arras dans l’exercice de ses anciennes fonctions représentatives départementales.
Dans cette histoire « poupée russe », il me faut vous conter dans quelles circonstances Guy Lherbier avait fait la connaissance du Préfet du Pas-de-Calais. Nous sommes au début des années 80. Guy Lherbier, Président de la Chambre de commerce d’Arras, est élu à la Présidence de la Caisse d’Allocations familiales du département..Le Préfet, nouvel arrivé dans le département, décide de venir inaugurer les nouveaux locaux de la Caisse. Le Président l’accueille et l’accompagne dans l’ascenseur qui conduit à la salle de réception. Malgre la brièveté du temps d’accès, chacun des deux protagonistes eut, le temps d’une brève présentation, la surprise de découvrir qu’ils avaient tous deux servi dans l’armée (43), au Laos (le Préfet avait servi dans la marine à Vientiane). De là se nouèrent des relations étroites entre les deux hommes.
L’intervention de l’ancien Préfet du Pas-de-Calais auprès de son collègue nantais permit d’identifier une personne, dont l’âge et le nom (cette personne portait le nom du Lieutenant) correspondaient à ceux du fils « perdu ». Guy Lherbier prit alors contact avec un professeur de musique installé à Beaune (Côte d’Or). Une première rencontre eut lieu à l’Ambassade du Laos à Paris. Les photos remises par la mère à Guy Lherbier et celles dont le professeur disposaient concordaient manifestement ainsi que l’histoire. En fait, le Lieutenant avait, à son arrivée en France, fait inscrire son fils sur l’état-civil avec son nom en affirmant qu’il s’agissait d’un jeune métis orphelin laotien qu’il avait sauvé. Il confia ensuite l’enfant à sa soeur qui l’éleva.
Le professeur de musique n’eut alors que de hâte de faire connaissance avec sa mère (son père était décédé dans l’entre-temps), ce qui fut assez rapidement réalisé.
Trois jours de fêtes ininterrompues saluèrent le retour de « l’enfant-prodige » dans sa famille maternelle laotienne, le tout au milieu de larmes de joie.
Belle histoire ! Et pourtant, la suite ne fut pas totalement conforme aux espoirs que ces retrouvailles avaient avait fait naître.
En effet, la mère, après avoir quitté la région de Sam Nua, habitait un petit village situé à une trentaine de kilomètres de Luang Prabang. Elle aurait souhaité que son fils, à défaut de venir y habiter, y fasse au moins de fréquents séjours. Mais Michel (prénom du Professeur) prit vite conscience qu’il faisait partie désormais d’un autre monde. Outre le fait qu’il ne parlait pas un mot de laotien et que tout échange nécessitait la présence d’un traducteur et que sa propre famille habitait évidemment en France, il eut beaucoup de peine à s’habituer, fut-ce pour un délai très bref, à une vie sans eau courante, sans électricité où il faut disputer son repas -souvent très épicé et peu varié- aux mouches et ses nuits aux moustiques, le tout sans aucune intimité. Avoir trois ou quatre paires d’yeux en permanence à l’attention de tous vos gestes, certes accompagnés de larges et charmeurs sourires, cela parait sympathique les premières heures, et de moins en moins au fur et à mesure que le temps s’écoule. Ajoutez une bonne dose de chaleur humide de 35 à 40 degrés -à l’ombre- qui vous transforme en éponge à chaque effort, et puis quelques sangsues.
Il revint une deuxième fois, l’année suivante et puis promit de revenir. Il vient d’écrire à Guy Lherbier qu’il envisageait un nouveau passage, peut-être en 2010.
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l’ordination de Laphon
J’avais arrêté ma moto dans un des nombreux Vat (44) qui surplombe la vallée de la Nam Khan, une rivière d’environ 250 km. de long qui se jette dans le Mékong à hauteur de Luang Prabang. Le spectacle est sublime. Aux pieds, la Nam Khan serpente au fond d’une vallée qui sort avec peine soit des brumes matinales, soit de celles que la pratique du brûlis notamment par les Hmong (19) et surtout les Khamu, à cette époque de l’année (mars), répand sur toute la ville (27)… Dans le lointain, on distingue les flots du Mékong dont le lit s’étale sur plus de 400 mètres de largeur. Sur les pentes, profitant du limon déposé par la période des hautes eaux et de la proximité du fleuve, les habitants ont installé, en saison sèche, des cultures légumières.
C’est un festival de couleurs. Le soleil couchant mordore les flots du Mekong dans le lointain. Les cultures donnent une teinte verte aux rives sur les pentes desquelles s’effilochent les brumes .
Et quand, dans le lointain, tinte une cloche qui appelle les moines à la prière, on se croit transporté dans un autre monde.
A ce spectacle, s’ajoutait en ce jour du 14 mars, celui des novices et des moines du Vat de Phonesath qui, en cette fin de saison sèche, faisaient brûler branchages et feuilles tombés. Ils avaient allumé de nombreux feux dont la fumée semblait faire émerger le Vat et tous ses composants d’un espace intersidéral d’où surgissaient et disparaissaient des ombres fugitives de moines vétus d’orange .
Ce spectacle admiré -et photographié-, je m’apprêtais, à aller rendre visite à un autre Vat où, l’année précédente, j’avais, pendant presque une semaine, participé à l’événement le plus fêté dans ce pays : un enterrement, et en l’espèce, celui de l’Abbé des lieux.
Un dernier regard attire alors mon attention sur un « Hang Hoth » (45) suspendu sous l’auvent d’un kuti (44). Sa figure de proue -un dragon peint d’un or vif- (46) semblait, lui aussi, sortir des fumées et même, avec un peu d’imagination, en exhaler. Que voilà un beau sujet à porter sur les pixels de ma boîte à photos.
Alors que j’essayais de cadrer un sujet qui refusait de se laisser entrer en entier dans le viseur de mon appareil, un jeune s’approche de moi et commence le rituel interrogatoire auquel tout « farang » (étranger) est soumis lorsqu’il se ballade dans ce pays (47) : « d’où venez-vous ? » - « quel est votre nom ? » - « depuis combien de temps êtes-vous à Luang Prabang ? ». Puis -mais éventuellement, et toujours par ordre décroissant- : « où est votre famille ? » - « aimez-vous Luang Prabang ? ». Je me soumets de bonne grâce à cet interrogatoire habituel qui se prolongea toutefois par mes propres questions. J’avais en effet noté que ce jeune ne portait pas, en ce lieu religieux, l’habit du novice. Au contraire, il ressemblait plutôt a un « poulbot » de notre temps : jean’s taille basse, baskets -et non les sempiternelles sandales ou slippers-, tee-shirt bariolé aux inscriptions apocalyptiques, casquette américaine siglée « NY » et portée sur le côté, cheveux mi-longs (48), le tout sur une frimousse avenante illuminée par un sourire permanent. Je lui demandais donc, après son interrogatoire d’usage et convenu, ce qu’il faisait dans ce Vat. Rendait-il visite a un ami novice ? Était-il hébergé par les moines ?
Sa réponse me surprit : « je suis novice dans ce temple ».Y aurait-il eu une « révolution culturelle » en terre bouddhiste, car tout novice doit porter des habits spécifiques. Ma surprise fut encore plus grande lorsque l’intéressé me déclara en suite : « et je serai ordonné moine lundi prochain » -nous étions un samedi-.
Je m’étonnais également qu’à son âge, on puisse devenir moine : « mais c’est que je viens d’avoir 20 ans. C’est donc possible » (49).
Intrigué, je m’enquis alors du lieu de l’ordination. Elle était prévue au Vat Ban Ma qui se trouvait à l’autre extrémité de la ville, à 8 kilomètres de là. Je demandais ensuite les horaires de la cérémonie. Evidemment, comme toujours au Laos, il me fut impossible d’obtenir une réponse précise sur l’heure -voilà bien un souci d’occidental-, voire des détails sur le déroulement de l’événement.
Par contre, comme toujours en ce pays, je fus invité à venir me désalterer dans le kuti ou logeait Laphon -c’est le nom du futur moine-. En réalité, ayant vu que je m’intéressais à l’art photographique, il voulait surtout me montrer ce qui lui tenait le plus à cœur : ses dessins. Il m’affirma qu’il n’avait jamais suivi de cours des beaux-arts et pourtant, sans être aucunement expert en la matière, je dois reconnaitre que ses travaux avaient une certaine qualité. Laphon m’en remit d’ailleurs plusieurs « en souvenir de mon passage et pour ne pas oublier le lieu et le jour de son ordination ».
Le lendemain, un dimanche, je recois, dans l’après-midi, un appel téléphonique de Laphon : « les cérémonies d’ordination vont commencer au Vat Ban Mat ».
La veille de l’ordination, en effet, tout le village (appelé « ban » -Luang Prabang en compte 65 et chaque ban à sa pagode-) se réunit autour de la maison du futur moine. A l’intérieur, j’y découvre une petite assemblée de moines débitant des réiteratives prières qui rappellent la vie de Bouddha devant un parterre de proches des futurs moines. Les autres habitants, eux, préparent les festivités de la soirée et surtout du lendemain (repas, décorations, auvents). Quelques musiciens, installés à l’entrée de la maison, ponctuent la fin de chaque prière par des mélopées accompagnées d’un khéne (50) et d’un xylophone.
Trônent également devant la maison, trois catafalques sur lesquels les habitants du village ont déposé des objets usuels : pièces de tissu, nourriture, chaussures, ustensiles de cuisine, livres, produits de toilette, bref tout un ensemble digne d’un bazar. Sur les piliers de chaque catafalque ont été épinglés des dizaines de billets de 1 000 ou de 2 000 kips (51).
Je demande alors à Laphon le pourquoi de ces trois catafalques et du dépot de ces objets. « à chaque ordination, les habitants du village témoignent de leur sympathie pour les futurs moines en leur faisant divers cadeaux entreposés sur ces catalfalques. Quant à leur nombre, il s’explique par le fait que, demain, il y aura ordination de deux moines ». « et alors pourquoi trois catafalques ? « .. » parce que le troisième est pour l’Abbé qui présidera la cérémonie ».
J’aurais pu deviner. Par contre, je continuais à m’interroger sur les raisons qui faisaient que l’ordination avait lieu dans le Vat Ban Mat sis à plusieurs kilomètres du Vat de résidence du futur moine et de taille bien plus modeste. Apparemment, Laphon n’avait aucun lien particulier avec ce village d’accueil puisque, lui même d’origine Khamu (9), son village familial se situait sur les premières pentes d’une montagne sise à une centaine de kilomètres de Luang Prabang.
La réponse ne vint pas de suite. Réiterée, j’obtins alors l’explication. Laphon venait d’une famille « pauvre ». Fils unique, il n’avait pas connu son père et sa mère vivotait, avec ses parents, sur un lopin de terre. Pour pouvoir faire des études, il fut donc hébergé par un Vat -celui de Phonesath-, le temps d’un noviciat. Mais ce temps étant arrivé à son terme, il lui fallait choisir : soit devenir moine et pouvoir continuer ses études soit chercher du travail, voire éventuellement retourner dans son village. Et s’il optait pour la première solution, il lui fallait trouver de quoi financer « son » ordination.. Comment faire ? Pas de problème. Les moines connaissent des familles qui, pour mériter des grâces supplémentaires pour leur kharma (52), acceptent de financer l’ordination de moines nécessiteux. En l’espèce, une « famille-sponsor » fut trouvée à Ban Ma, village d’origine du second moine. C’est donc là que se déroule l’ordination.
Dehors, d’énormes chaudrons préparent le repas du soir servi juste après la fin des prières, d’abord aux moines, puis aux habitants du village, le tout fort arrosé de « lao-lao » (53).
Il est 18 heures, la nuit commence à tomber et les villageois, certains vacillants, regagnent déjà leur demeure. C’est qu’on se lève tôt en ce pays. Il faut chaque matin préparer le riz qui sera remis vers les six heures aux moines lors de la quête de leur nourriture quotidienne, et, surtout, que tout soit prêt pour l’ordination qui doit commencer le lendemain à 7 heures...
Le lendemain, effectivement, à cette heure matinale, les musiciens sont déjà la et font entendre leurs ritournelles.
Arrivent ensuite une trentaine de moines et de novices pour des prières alors que, dehors, une dizaine de cuisinières, bien avant potron-minet, ont commencé à remuer dans d’immenses chaudrons viandes diverses et légumes. Les litanies terminées, une autre armée de dames, vint, d’abord sustenter les moines et les novices, puis, après la fin de leur repas, toute la communauté villageoise dans laquelle, après y avoir été duement invité, je me fondais.
Et en arrière-fond, toujours la musique du xylophone et du khéne.
Les repas se prennent toujours en position accroupie, sur des nattes posées à même le sol. Les différents participants, regroupés davantage en fonction de leur sexe et de leur rang social plutôt que par affinité, font cercle autour d’un plateau en bambou surélevé. Les dames du village commencent par apporter à chacun un petit panier rempli de ce qui fait l’alimentation de base des Lao (19) : le riz gluant. Sur le plateau central sont ensuite déposées des petites coupelles. Dans certaines, on trouve des légumes, dans d’autres des sauces, dans les plus volumineuses de la viande ou du poisson... Le repas consiste à tremper un peu de son riz gluant -dont on a fait une petite boulette- dans une des coupelles. On découvre ainsi des saveurs inconnues et bien souvent, la surprise est agréable. Parfois, il faut faire preuve d’une certaine abnégation quand la sauce se révèle être un cocktail de piments « arrache-gueule », et rien pour éteindre l’incendie qui se propage alors tout au long du tube digestif. Evidemment, ici, pas de baguettes, nous ne sommes pas au Viet Nam ou en Chine...(54)
Il est environ 9 heures. Les moines repartent vers leurs Vats respectifs. Alors a lieu un baci (55) destiné aux futurs moines et à leurs proches. Je me joins à la cérémonie avec l’espoir que “mes esprits protecteurs” s’égareront désormais un peu moins dans la nature. Un gallinacé laissa sa vie dans l’opération (56).
Pendant le baci, les habitants du village terminent les préparatifs de l’ordination. Des oriflammes sont accrochés aux arbres sur le parcours qui va de la maison des « sponsors » (57) de Laphon au Vat. De l’entrée de l’enceinte du Vat au Sim, est déroulé un tapis le long duquel sont « plantés » divers branchages formant une allée. Les novices du Vat se parent de leurs plus beaux habits. Les hommes installent dans le Sim coussins et rafraichissements pour l’assemblée des moines qui procédera à l’ordination.
Reste ensuite aux futurs moines à se faire raser crane et sourcils, puis à Laphon à distribuer ses habits civils aux gens du village puisque, desormais, il ne pourra porter que des habits religieux.
Arrive alors une escouade de musiciens avec, outre les traditionnels xylophone et khéne, des tambours, un gong et un « khong Von » (instrument de musique circulaire composé de 16 cymbales). Ils s’installent, à l’ombre de l’arbre le plus imposant du Vat.
Vers 11 heures, des petits camions et des minibus déversent une « armée » de moines et de novices -environ une centaine- représentant les différents Vats de Luang Prabang (il y a 65 Vats dans la ville).
La cérémonie définitive peut alors commencer.
Annoncés par une musique digne d’un disco, les deux futurs moines arrivent au Vat, Laphon vêtu d’une chasuble blanche et son collègue des traditionnels habits de couleur orange (58) en tete d’un cortège qui rassemble tout le village.
Chacun est accompagné de ses parents ou « sponsors », l’un d’entre eux tenant au dessus de chaque futur impétrant un parapluie censé protéger son crane fraichement dénudé des ardeurs des rayons du soleil. Dans la foule, de nombreux villageois portent un « mak beng » (59). Les catafalques qui ont suivi le cortège sont alors déposés à l’entrée du Sim tandis que le cortège en fait deux fois le tour.
Les moines, en cercle, s’agenouillent alors à l’intérieur du Sim à l’entrée duquel, les mains jointes, sont prosternés les futurs moines. A côté d’eux, prennent place leurs parents ou leurs sponsors (60).
Commence alors, ponctuée de musique, la première phase de l’ordination proprement dite. Après presque une heure de litanies diverses, de rappels de la vie de Bouddha et du contenu de leurs engagements, des habits de moines et un bol à offrandes (61) sont remis aux deux impétrants.
Ceux-ci sortent alors du Sim et mettent leurs nouveaux habits. Ainsi parés et équipés, ils stationnent ensuite quelque temps à l’entrée du Sim, le temps que d’autres moines, en pali, viennent leur rappeler la solennité de leur démarche. Ils pénètrent alors dans le bâtiment, au fond du temple, là où trônent les statues de Bouddha pour, à genoux, recevoir les dernières bénédictions de l’Abbé avant de se mêler aux autres moines pour les dernières prières. Ils font désormais partie de leur communauté, sans que toutefois ces voeux soient perpétuels. A tout moment, un moine peut décider de revenir à l’état laïc.
Arrive alors la dernière phase de cette cérémonie, celle destinée aux fidèles.
Des habitants du village, essentiellement des femmes, après avoir suivi toute la cérémonie, agenouillés dans le péristyle qui entoure le Sim, viennent à tour de rôle, toujours à genoux, déposer d’ultimes offrandes -d’une touchante modestie quant à la valeur des biens offerts- à l’entrée du bâtiment et recevoir une bénédiction des moines.
Reste l’ultime phase : celle de l’eau sacrée récupérée à l’extrémité du « Hang Hoth » (45) après avoir douché l’Abbé.
Pour terminer, quelques dames lancent alors à la foule, mais surtout à destination des enfants, des poignées de riz avec quelques billets. Cohue généralisée garantie.
La cérémonie est terminée. Les moines prennent un dernier repas, suivi par celui des villageois.
Je profite de ces derniers instants avec Laphon pour l’interroger sur les raisons de son ordination.. En réalité, je lui ai demandé combien de temps il comptait rester moine... : « quatre ou cinq ans. ». – « pourquoi ce délai ? » - « le temps de terminer mes études en communications médiatiques, meme si je préférerais de beaucoup étudier le dessin..mais ces études coûtent trop cher...». Le tout dit sur un ton naturel, sans passion ou sans critique. Ainsi est sa vie.
Jean-Michel Gallet
(1) tout comme je fais quand j’écris une feuille. D’ailleurs, en écrivant, écrit-on aussi -et peut-être d’abord- à soi-meme....
(2) voir feuille de route 21 – “ Cambodge – pauvre à jamais ? “
(3) voir feuille de route 10 : “ bo pen nhang ou l’art laotien de la pétanque” et Henri Mouhot : « On ne peut refuser aux Laotiens le courage du chasseur s’ils n’ont pas celui du guerrier. La chasse est leur principal amusement. Leur pauvreté approche de la misère ; mais, comme presque toujours, elle provient de leur excessive paresse car ils ne cultivent que le riz nécessaire à leur entretien. Cette récolte assurée, ils passent le reste de leur temps à dormir, à flaner dans les bois, à faire de longues courses aux villes et villages voisins et à se visiter chemin faisant. » Henri Mouhot – « Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos » (1858 – 1861)
On retrouve une analyse similaire sous la plume de Joseph Chevallier, un militaire français qui fut en fonction en Indochine au début du siècle précédent. Dans ses « Lettres du Tonkin et du Laos (1901 – 1903) », il écrit à propos d’un travail « dangereux, sans repos, presque sans sommeil, avec une nourriture à peine suffisante, pour gagner quelques sous » : « je n’ai pas besoin de vous dire que ces héroiques travailleurs sont tous des Annamites. Seuls des gens de cette race possèdent assez d’énergie et d’amour du gain pour accepter un semblable travail. Ni pour or ni pour argent, à moins d’en être requis par la force, un Laotien ne voudrait s’imposer de telles corvées. Il préférerait certainement de beaucoup pourrir de misère dans un coin de sa paillotte en fumant sa dernière pipe ou cracher son dernier souffle avec sa dernière chique de betel. Seule la chasse possède assez d’attraits pour faire sortir de sa torpeur cet incorrigible paresseux. Chose bizarre, il ne craint plus alors ni souffrances ni fatigues et s’il tombe sur quelque bonne piste, il ne la lâchera pas pendant des jours et des nuits, dut-il succomber a la peine »
(4) je me suis -enfin- décidé à passer au numérique. Malgré mes réticences de départ -on ne change pas facilement des habitudes décennales-, je dois avouer que cette technologie offre des avantages incontestables par rapport à l’argentique au niveau de la prise de vue, mais quel travail ensuite. Cela commence, presque tous les soirs, par une séance d’editing (on aime beaucoup le « franglais » dans cette technologie) d’une heure, voire deux, c’est-à-dire une sélection des photos prises dans la journée (j’en supprime en moyenne 2 sur 3). A défaut, les cartes sont vite remplies. Et puis, il restera a effectuer le stockage, l’archivage, le post-traitement, l’impression, voire la diffusion de ce qui a été réalisé... Et que dire du cout du numérique. Toutes les technologies informatiques vieillissent bien vite. Certes, plus de pellicules à acheter, mais il y a toujours un nouveau matériel ou logiciel à acquérir si on veut que....
(5) avant de commencer la lecture, ouvrez votre atlas à la page « Laos ».....
(6) et ou j’ai retrouvé les petit-déjeuners de ma guesthouse (voir feuille de route 19 : « un petit-déjeuner laotien »)..Un verre de vodka (20 centilitres !!!) à 9 heures du matin, ça réveille, d’autant que selon le dicton laotien : « on marche sur deux jambes ». Un deuxième verre ne peut donc se refuser, le tout se terminant par « chevaliers de la table ronde »... et une sieste qui s’impose vers les 11 heures du matin.
Au Laos, les choses sont simples : dès que j’ai de l’argent, j’achète à manger et surtout à boire pour « faire la fête « avec les amis -toujours nombreux- et toute personne sympathique qui viendrait à passer dans la rue.. le tout, jusqu’à épuisement de mes kips -monnaie locale-... Ensuite, j’attends d’avoir de nouveau des kips pour recommencer. Mais il y a fort à parier que demain ou après-demain, un ami m’invitera à « faire la fête »... Faut-il aller chercher ailleurs le paradis...
(7) en 1353, Fa Gnum avait fondé le royaume de Lan Xang ou “royaume du million d’éléphants” après avoir repoussé, avec l’aide des Khmers, les armées siamoises d’Ayutthaya, et avant de s’allier, plus tard, avec les Siamois. Les frontiéres orientales de son royaume correspondaient à peu près aux frontiéres du Laos actuel. Par contre, à l’ouest, le royaume englobait l’Isan (partie orientale de l’actuelle Thailande) et allait même jusqu’à Chiang Mai. Il a également introduit le bouddhisme du petit Véhicule au Laos (voir 13)
(8) le tuk-tuk est un tricycle motorisé servant de taxi
(9) si la France est le pays “aux 365 sortes de fromages”, le Laos, lui, compte 47 ethnies reconnues officiellement et 130 à 140 si on adopte d’autres classements sur une superficie de 236 000 km2 . Montagnes et torrents (selon Jean Deuve (voir 24), en 1950, il fallait deux mois pour aller en bateau de Vientiane -centre du pays- à Phongsaly -nord du pays (soit environ 500 km.) se sont ingéniés à rendre les communications extrêmement difficiles. Il en est résulté que chaque ethnie a vécu en quasi totale autarcie dans sa vallée ou sur ses pentes de montagne sans guère communiquer avec les autres.
Par rapport à une population totale évaluée à 6,3 millions d’habitants en 2008 -dont 50 % à moins de 15 ans-(*), le principal groupe est celui des Lao-tai -parlant une langue similaire à celle des Thailandais- au nombre de 3,3 millions.
Les Khamu font partie du deuxième groupe ethno-linguistique du Laos, celui des Mon-Khmers. Ils seraient au nombre de presque un million sur les 1,2 million de Mon-Khmers. Ils habitent sur les plateaux et les pentes et sont réputés pour leur maîtrise de la construction de maisons sur pilotis. Leur présence dans la région est antérieure à celle des Lao-tais dont ils étaient devenus, bien souvent, les “serviteurs-esclaves”.
Les Hmong font partie du troisiéme groupe ethno-lingistique, celui des Hmong-Ya. Ils sont environ 450 000 -soit 8% de la population- et vivent dans les montagnes au dessus de 1 200 m.-sauf les Lanten, ou “Hmong des Riviéres” une des subdivisions des Hmong-. Ils sont arrivés au Laos à partir de 1810 – 1820, en provenance de la Chine..
Fiers et indépendants, très travailleurs (“là où passent les Hmongs, les rats trépassent” dit le dicton-), ils admettent difficilement toute sujétion. Les Francais en firent l’expérience lorsqu’ils durent faire face, entre 1919 et 1921, à une rebellion Hmong engendrée par des mesures administratives maladroites relatives au commerce de l’opium (le principal produit d’exportation laotien alors) . Ils accordérent alors aux Hmong quelques parcelles d’autonomie.
Les Hmong réapparurent sur le devant de la scène lorsque, surtout après 1953, la guerre du Viet Nam s’étant étendue au Laos, chaque camp chercha à recruter des forces militaires auprès des différentes ethnies. Les Hmong se révélérent alors comme les meilleurs guerriers.
Selon diverses sources (Jean Deuve, Pierre Dupont-Gonin -voir 24 et 40-), les Hmong se trouvaient dans chaque camp (selon Jean Deuve, en 1959, un tiers des Hmong se trouvait au service du Pathet lao pro-communiste, un sixième au service des forces de droite, soutenus par les Américains et le reste devait se soumettre au vainqueur du moment). Cette thèse me parait fort crédible, car je ne vois pas comment le Pathet lao aurait pu “tenir” la montagne sans le concours de ses habitants.
Après 1975, les Hmong connurent des temps difficiles. Bien sur, cela parait évident pour ceux d’entre eux qui s’étaient mis au service des forces occidentales (Francais, puis Américains). 40 000 -sur les 300 000 Hmong vivant alors au Laos- se refugièrent en Thailande. Certains purent gagner un tiers pays (actuellement, 10 000 Hmong vivent en France métropolitaine, notamment dans le sud-est et 556 - aujourd’hui au nombre de 2000 - purent s’installer en Guyane; aux Etats-Unis, ils seraient actuellement entre 60 000 et 100 000). Quant aux autres, ils végétent toujours dans des camps thailandais tout en se voyant refuser le statut de “réfugiés” par les autorités du pays. D’ailleurs, le 25 mars de cette année, cédant aux demandes des autorités laotiennes, le gouvernement thailandais vient de décider de renvoyer dans leur pays d’origine 5 400 “réfugiés” Hmong.
Pour ceux restés au Laos après 1975, la vie ne fut toutefois pas un “long fleuve tranquille”, y compris, paradoxalement, surtout pour ceux qui avaient servi le Pathet lao pro-communiste... Peu après 1975, ils se rendirent vite compte combien leurs libertés étaient menacées dans un système marxiste-léniniste. Un certain nombre d’entre eux se révoltérent alors, ce qui fit que me rendant pour la première fois à Luang Prabang, il y a un peu plus de 10 ans, je dus utiliser l’avion, la route -traversant des zones controlées par des Hmong- n’étant pas totalement sécurisée. C’est ce qui explique aussi le contenu de rapports sur les Droits de l’Homme, tel celui d’Amnesty international -en 2008- ou d’origine américaine faisant état de populations Hmong vivant dans des conditions très difficiles. La raison en est à rechercher dans le caractéère fier et indépendant de ceux des Hmong qui refusent le processus d’assimilation des autorités laotiennes
(*) au début du siècle précédent, la population du Laos était évaluée a 600 000 personnes et à la veille de la seconde guerre mondiale à un million. Globalement, les trois pays de l’Indochine comptaient, en 1939, 22 millions d’habitants dont 17 millions pour le Viet Nam. Aujourd’hui, leurs populations additionnées s’élèvent à 106 millions.
(10) au Lao, on ne concoit rien sans « la fête ». Il en va de tous les événements de la vie -et notamment de l’événement le plus festif dans la culture laotienne : les enterrements-, mais aussi du travail : impossible de concevoir un travail quelconque sans qu’il ne soit suivi d’un repas en commun fort arrosé de bière et de lao-lao (voir 53) et accompagné de chants ou de danses. A la mi-mars, me trouvant en ville avec Guy Lherbier, notre voiture est arrêtée par une manifestation (pas de protestation -nous ne sommes pas en France-) qui occupe l’essentiel de la chaussée. De quel événement festif s’agit-il ? Le diagnostic de Guy Lherbier est formel ; « on y chante et on y danse. C’est donc un enterrement.. »
(11) une petite anecdote que m’a contée Guy Lherbier. Un matin de la mi-mars, je lui rends visite. Je trouve son air un peu triste, lui, qui est d’ordinaire toujours joyeux et accueillant. C’est qu’il venait de recevoir un mail de son fils l’informant du décès, en France, d’un de ses anciens “élèves” laotiens. Il me remémore quelques souvenirs à son égard et notamment cette anecdote. Il y a une vingtaine d’années, Guy Lherbier informe ce Laotien -qui résidait dans le nord de la France- de son remariage -il était veuf- dans sa ville de résidence -Arras- en précisant que, puisqu’il s’agissait d’un second mariage et à un age proche de la soixantaine, il souhaitait donner à cet événement un caractère “intime”. Qu’elle ne fut pas sa surprise -et surtout celle de sa future belle-famille (des agriculteurs du Pas-de-Calais) de voir arriver le jour dit son ami laotien. accompagné de cinq compatriotes, l’intimité est un sentiment bien souvent inconnu en Asie, surtout, lorsqu’il s’agit, pour un Laotien d’avoir une occasion de pouvoir “faire la fete”.
(12) voir feuille de route 18 : “boudhisme et démocratie” qui relate le “Bun Phavet” où la fête de l’avant-dernière réincarnation de Bouddha.
(13) le Bouddhisme du Petit Véhicule se pratique surtout en Asie du sud-est (Thailande, Birmanie, Cambodge, Laos et Sri Lanka) . Il se différencie du bouddhisme tantrique -pratiqué dans la région de l’Himalaya, et notamment au Tibet- et du bouddhisme du Grand Véhicule que l’on rencontre plus au nord et notamment en Chine.
Le terme de “Véhicule” est une traduction du sanskrit “yana” qui signifie a la fois “diamant” et “foudre”
(14) pour le Nouvel An, il est de tradition de s’asperger d’eau
(15) “bo pen nhang” qui se traduit habituellement par : “ce n’est pas grave” est l’expression qui passe pour illustrer le mieux “l’art de vivre” lao. (voir feuille de route 10 : “bo pen nhang” ou l‘art de la pétanque..).
Quelques exemples.
Dans la guesthouse ou je descends habituellement -il est vrai qu’ils me connaissent-, c’est moi-meme qui établit mon addition, trop compliqué ou trop fastidieux pour le gérant de savoir combien font 24 nuits à 12 dollars la nuit.
Une autre anecdote. Fin mars, je me trouve à Luang Namtha, une ville de l’extrême nord du pays (40 000 habitants), en bordure de la frontiéère chinoise. Je décide de faire quelques courses dans un des magasins de la ville : deux cocas, un paquet de biscuits et un tube de dentifrice…et j’établis, au grand soulagement du commercant, mon addition : 17 000 kips. Le visage de mon interlocuteur montre toutefois des signes de quasi-panique lorsque je lui tends, en paiement, un billet de 50 000 kips. Il plonge alors à deux mains dans une boite en fer-blanc -qui fut une boite à biscuits- et qui lui tient lieu de caisse, à la recherche de l’appoint (33 000 kips soit 3 euros - un euro : 11 000 kips). Après avoir compté et recompté tous les billets qui semblaient y dormir à la portée de tous, il lève alors les yeux vers moi, et, avec un grand sourire, m’annonce : “désolé, désolé, bo pen nhang, vous viendrez payer demain, bo pen nhang désolé, désolé.”
Pour ceux qui aiment les dates fixes et les horaires précis, c’est la crise de nerfs assurée. Ainsi, fin mars, voulant toujours de la ville de Luang Namtha rejoindre Luang Prabang, à environ 300 km. plus au sud, je m’enquis auprès de la gare routière des horaires du bus qui allait de Houay Xai (ville sise a environ une centaine de km. au sud-ouest de Luang Nam Tha, près de la frontière thailandaise) à Luang Prabang via Luang Nam Tha.. A ma logique question : “quel jour et et à quelle heure passe le bus pour Luang Prabang”, je reçus pour réponse : “certains jours.” - “ mais encore ? “ - “on ne sait pas, il faut venir voir.”.
Contant mon “problème” au responsable de la guesthouse ou je séjournais, j’eus alors la satisfaction de l’entendre me proposer une solution qui me ravissait : un minibus qui devait partir justement le lendemain pour Luang Prabang “au prix du bus...” . Me voilà encore une fois conforté dans l’idée qu’en Asie, avec le temps et de la patience, tout finit par s’arranger.
Le lendemain, au chant du coq, j’attendais donc le minibus promis. Las... je vois alors le gérant venir vers moi, l’air un peu embarrassé pour m’avouer : “ je viens de téléphoner au propriétaire du minibus, il est parti ...hier.... Bo pen nhang.”
Le 16 avril, les fêtes du Pimai (Nouvel An) battent leur plein à Luang Prabang..Le matin (dès 6h.30 !!), des milliers d’habitants gravissent le Mont Phousi (voir 26), un “mak beng (voir 59) à la main.. Escalade faisant, ils déposent sur les marches des aumones sous forme de friandises diverses diverses, vite récupérées par les gamins de la ville. Au sommet, un petit temple ou, sous le regard impassible d’une statue de Bouddha, on “tire les batons”. Il s’agit d’agiter fortement dans une boite cylindrique en fer-blanc des batonnets et d’en laisser choir un sur le sol. Le chiffre qui y est porté correspond à une petite feuille sur laquelle est porté votre avenir : argent, santé et amour vous sont alors révélés.... Enfin, du sommet de la colline, les fidèles sont invités à libérer de sa cage d’osier un petit oiseau acheté au pied du Mont Phousi. Ainsi se fait-on pardonner toutes les offenses faites aux animaux pendant l’année écoulée… De retour à leur domicile, les familles organisent un baci (voir 55)
Voila pour le décor. Venons-en maintenant à ce petit détail qui révèle l’âme laotienne. L’escalade des quelques centaines de marches dans la chaleur du mois d’avril a naturellement asséché les gosiers. Une dame prévenante ou astucieuse a alors installé sur la dernière marche un petit stand de boissons fraîches, à savoir une caisse remplie d’eau froide dans la quelle baignent quelques bouteilles. Un commerce qui marche... mais voilà que, tout a coup, la dame quitte sa caisse, pour une petite prière ? pour un besoin pressant ? pour une petite sieste ? pour discuter avec une copine ? Je ne sais. Qu’advint-il alors de la caisse à boissons ? Pas de problème, le policier de faction, matraque et révolver à la ceinture, prend sa place et encaisse les kips (monnaie locale) qu’il dépose, d’un geste nonchaland, dans un petit sachet plastique transparent accroché a un bout de ficelle, à l’arbre voisin... pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple.
Ce “dilettantisme” généralisé concerne aussi des actes qui nous paraissent bien plus importants. Ainsi, cette anecdote contée par Guy Lherbier.. Un matin, il voit un éléve arriver en cours l’air encore plus souriant que d’habitude. Il lui demande le motif de cet épanouissement, et l’élève de répondre : “ voilà, j’avais un nom qui portait malheur, alors, cette nuit, j’ai décidé de changer de nom. Maintenant, je m’appelle Bunchan.”
Plus récemment, le jeune informaticien du cyber café d’ou j’écris mes mails tient à me faire voir son livret universitaire. Je constate alors qu’il y est porté : “né le 18 mars..” soit l’avant-veille… Sur le ton de l’ironie, je lui déclare que je regrette beaucoup qu’il ait oublié de m’inviter à son anniversaire, deux jours auparavant. Je m’attire alors cette réponse de l’intéressé : “mais, c’est qu’en fait, je suis né le 18 aout.”...
(16) voir feuille de route 19 : « un petit-déjeuner laotien » et l’histoire du fils adoptif de Guy Lherbier (le « jumeau miraculé » )
(17) le Laos est un des derniers pays de notre planète à se réclamer de “la faucille et du marteau” tout en ayant, en 1982 et 1986, adopté le “nouveau mécanisme économique”, ensemble de mesures de libéralisation controlée de l’économie. Politiquement, il reste très dépendant du Viet Nam. Ecomiquement, il cherche à attirer les capitaux étrangers, notamment chinois, coréens, japonais et thailandais. La rotation de ses responsables est plus due à leur décés qu’au résultat des élections.
(18) je ne puis résister au plaisir de citer Henri Mouhot qui, en 1859, présente ainsi la fonction d’un Vice-Roi -au Siam- dans son livre : « voyage dans les royaumes de Siam, du Cambodge, de Laos » : « comme si ce n’était pas assez pour le pays d’avoir à entretenir un Roi, une Cour, un sérail royal aux multiples rejetons, les Siamois possèdent la doublure de cette institution. Derriére le Premier Roi, il y en a un second, qui, lui, aussi, à son palais, ses mandarins, son armée (entre le Roi et le peuple, s’étagent douze ordres différents de Princes, plusieurs classes de Ministres, cinq ou six de mandarins, puis pour les quarante et une provinces du Royaume, une série de gouverneurs et sous-gouverneurs dont l’incapacité et les rapines dépassent tout ce qu’on peut imaginer en ce genre). On rend au Vice-Roi les honneurs souverains et cependant il ne remplit qu’une charge purement honorifique….La seule prérogative réelle à laquelle sa position lui donne droit est de pouvoir s’asseoir dans un fauteuil en présence du Roi au lieu de devoir s’accroupir devant lui comme les autres sujets du royaume.. » Henri Mouhot –
(19) Lao et Hmong ont un pluriel invariable
(20) comme l’histoire du Laos, mais en l’espèce de l’Indochine, peut apparaître un peu... lointaine à des lecteurs francais, je me permets de rappeler que, en application d’un accord passé entre le gouvernement de Tokyo et celui de Vichy, le 22 septembre 1940, l’administration francaise continuait a gérer l’Indochine, les forces nippones ayant le droit d’y faire stationner “au maximum 25 000 hommes” et bénéficiant de certains droits de passage. Cet accord s’est appliqué jusqu’au 9 mars 1945, jour ou les forces japonaises décidèrent “liquider” la présence française et de donner l’indépendance aux trois pays de l’Indochine. Commenca alors pour le Laos qui avait jusque la vécu à son rythme fort paisible et de facon très autarcique une longue période de troubles et de déchirements
(21) à noter qu’au Cambodge Sihanouk dut se livrer au même exercice
(22) cela peut apparaître un peu compliqué... et pourtant, je vous assure que je simplifie à l’extrême... mais permet, je l’espère, au lecteur de mieux comprendre les réalités d’un pays comme le Laos... Le Vice-Roi Bounkhong eut de nombreuses épouses et ... une nombreuse progéniture -dont Pethsarath, Souvanna Phouma et Souphanouvong-. Pethsarath et Souvanna Phouma étaient respectivement le deuxième et le sixième enfant de sa deuxième épouse. Ils étaient donc frères. Souphanouvong était le vingt-huitième enfant du Vice-Roi Bounkhong et, selon les sources, soit de sa sixième, soit de sa onzième épouse... Il était donc le demi-frère de Pethsarath et de Souvanna Phouma.
(23) selon cet accord, ce sont les forces chinoises au nord du 16éme parallèle et les forces anglaises au sud de ce même parallèle qui devaient désarmer les forces japonaises. En ce qui concerne le Laos, la quasi totalité de son territoire (sauf l’extreme sud -région de Paksé-) est située au nord du 16ème paralléle et se trouvait donc dans la zone chinoise
(24) pour ceux et celles qui voudraient en savoir plus sur cette période pour le moins troublée, je vous conseille la lecture de :
- “la guerre d’Indochine 1945 – 1954” par Jacques Dalloz
- et surtout les deux livres de Jean Deuve : “ le Laos 1945 – 1949 – Contribution à l’histoire du mouvement Lao Issala” -Université Paul Valery Montpellier- et “ le Royaume du Laos 1949 – 1965 “ EFO – Maisonneuve – 1984
(25) le Laos reste aujourd’hui un pays toujours convoité par ses voisins : les Vietnamiens -très présents notamment au sud Laos et de plus en plus a Vientiane- voudraient bien annexer le nord-est du pays -. Je rappelle que c’est en se présentant comme les “défenseurs” des droits de l’Annam -alors protectorat francais et “suzerain” du royaume de Luang Prabang- que les Francais ont légitimé leur arrivée à Luang Prabang en 1886/1888. Thèse fort ancienne d’ailleurs reprise par Ho Chi Minh : “ l’indépendance du Viet Nam exige qu’il contrôle les pays situés à l’ouest de ses frontiéères”. De son côté, prenant prétexte de l’existence d’une majorité linguistiquement t(h)ai au Laos (environ 55 % de la population), la Thailande revendique au moins la rive gauche du Mekong, voire surtout reve d’intégrer le Laos à la Thailande (le changement de dénomination en 1939 de Siam en Thailande (c’est-à-dire pays des Thais) va en ce sens et explique l’alliance de la Thailande et du Japon lors de seconde guerre mondiale. Quant à la Chine, elle a évoqué a plusieurs reprises la création d’un grand espace “autour du Yunnan”, région dont sont originaires la grande majorité des populations qui peuplent l’Indochine..
(26) le mont Phousi, montagne sacrée de Luang Prabang, domine de ses 150 mètres la ville
(27) avant l’arrivée des pluies, les paysans obtiennent un engrais « naturel » en défrichant un espace jugé conforme à leurs besoins tout en laissant les arbres. Lorsqu’au bout de quelques jours, bois et feuilles sont secs, on y met le feu. Ensuite, sur ce terrain fumé, on procéde a l’ensemencement. En principe, c’est l’homme qui creuse à l’aide d’un baton des trous de quelques centimètres de profondeur et la femme qui y déverse les grains de riz -ou de mais- …Il ne reste qu’à attendre la pluie...
(28) après 1955, les Américains reconnaissaient la présence au Laos de 700 « experts » permanents, mais ne comptabilisaient pas dans ce chiffre ceux qui regagnaient chaque soir la Thailande. Il convient également d’ajouter la présence, à leurs côtés, de forces philippines et surtout sud-vietnamiennes
(29) Guy Lherbier animait les activités de 50 louveteaux et 150 scouts. Par la suite, les scouts créérent des associations informelles des “anciens” scouts. Les scouts étant quasiment tous des membres de la famille royale, ces associations permettent a Guy Lherbier d’etre l’un des étrangers qui dispose, encore aujourd’hui, d’un des meilleurs réseaux relationnels au Laos
(30) après la reprise du Laos par les forces francaises dans le courant de l’année 1946 (le 25 avril a Vientiane et le 13 mai a Luang Prabang), les membres du gouvernement Lao Issala et Pethsarath s’exilérent en Thailande. Sa maison était devenue un bien “vacant”
(31) ONG : « organisation non gouvernementale ». Ce sont des « associations » qui interviennent dans les pays en voie de développement ou sur certains grands thèmes négligés par les autorités officielles. Leur objet est trés varié (santé, agriculture, environnement, Droits de l’Homme, etc..). Leur dimension également : de la grande entreprise (Médecins sans frontiéres, OXFAM, Green Peace, etc..) au fonctionnement dit « professionnel » et parfois très administratif à l’ONG réunissant quelques personnes pour la construction de puits ou d’une école dans un village... Elles toutes un point commun : la recherche permanente de financement. Leurs rivalités, surtout quand elles travaillent sur le meme objet dans le meme pays, font aussi partie de leur pain quotidien. Souvent, chacune mène sa politique avec ses propres valeurs sans trop se soucier de coordination. Leur fonctionnement n’est pas toujours très démocratique et les motivations de ceux qui s’y investissent parfois « confuses ».
Leur critique est donc facile et a été a maintes reprises réalisée..
Et pourtant, ces ONG jouent un role essentiel dans l’évolution des pays en développement. Elles sont l’un des rares contrepouvoirs réels face à l’autocratie des pouvoirs dirigeants..Et on peut espérer qu’elles contribuent à former les cadres dont ces pays en développement ont cruellement besoin (voir feuille de route 21 : « Cambodge - pauvre a jamais ? « ).
Elles jouent le rôle qu’ont joué dans les pays occidentaux les syndicats sauf que ces syndicats n’ont pas su -ou, à mon avis, pu- jouer un rôle au dela de la sphère géographique ou résident leurs mandants. Car ils auraient alors eu a gérer des contradictions insoutenables.. Par exemple à propos des délocalisations d’emplois ou d’exportations, entre autres de produits agro-alimentaires.
Ce sont donc créées de nouvelles structures, dites ONG, animées par des militants venant de pays occidentalisés, mais intervenant dans des pays étrangers.
(32) Guy Lherbier a adopté certaines coutumes lao... on peut venir chez lui a tout moment de la journée sans avoir averti... seule condition : “donnez un coup de sonnette en franchissant le portail d’entrée”
(33) alors, seuls les bouddhistes étaient incinérés et les non-bouddhistes suspendus à des arbres pour servir de nourriture aux animaux.
(34) l’expédition de Doudart de Lagrée et de Francis Garnier avait pour mission d’explorer le Mékong et surtout d’étudier sa navigabilité. Elle obtint en mai 1867 l’autorisation du Roi de Luang Prabang de construire “un massif de maçonnerie de 1,80 mètre de long, de 1,10 mètre de hauteur et de 0,80 mètre de large” pour y placer les restes d’Henri Mouhot
(35) si vous passez à Luang Prabang, n’oubliez pas de visiter « la maison de l’éléphant » -voir site www.elefantasia.org et, si possible, de lire le livre d’Henri Mouhot « voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos » pour comprendre pourquoi le Laos fut appelé « le royaume du million d’éléphants ». Vous pouvez aussi en profiter de votre passage à la maison de l’éléphant pour découvrir, à côté, les photos de Paul Wager, un ancien photographe professionnel australien installé à Luang Prabang (voir son site : www. pbase.com/wagerpics)
(36) Pavie (1847 – 1925), nommé Vice-Consul de France à Luang Prabang en 1886, obtint, en 1888, du Roi Oun Kham son accord pour placer le royaume, menacé par les Pavillons Noirs -des pillards venus de Chine- et face à la désertion des soldats du Siam, alors pays suzerain, “sous la protection de la France”. Ce fut en 1895 qu’intervint un premier accord entre la France et le Siam pour arreêter des frontières entre ce dernier pays et le Laos
(37) voir les lettres du Capitaine V.
(38) lors de son arrivée à Luang Prabang, Guy Lherbier tenta de faire repecher la statue, en totalité ou en partie. Il contacta un Général laotien qui lui assura savoir où elle avait été immergée... mais n’acceptait de révéler cet endroit que moyennant finances... ce que Guy Lherbier refusa. Personnellement, je trouve symboliquement fort que la statue de Pavie reste à jamais immergée dans les eaux du Mekong.
(39) Guy Lherbier a récupéré trois bornes kilométriques au début des années 1990, à 75 km. au sud de Luang Prabang, le long de la mythique route nationale 13 qui relie le sud du pays (frontière cambodgienne) au nord (frontière chinoise) via Vientiane et Luang Prabang. Deux sont encore à son domicile et la troisième est celle …du kilomètre 0
(40) d’autres aménagements devraient prochainement etre apportés à la tombe grâce au concours d’un architecte, Francois Greck, installé depuis une quarantaine d’années en Asie et qui est en train d’ouvrir un cabinet à Luang Prabang.
De même, les lieux devraient maintenant recevoir l’appui de « l’association du Souvenir francais » et de son représentant pour l’Asie, Claude Jacques, par ailleurs Conseiller auprès de l’UNESCO
Autre suite à cette histoire.. Dans la voiture qui nous ramenait de la tombe d’Henri Mouhot à Luang Prabang, Guy Lherbier rappelait l’association qu’il avait créée en aout 1975 en France pour venir en aide aux Laotiens : l’association Lao-France dont l’objet était « l’aide à l’insertion en France des Lao de culture francaise »... Si les Lao francophones ont pu assez rapidement trouver travail et hébergement, il n’en fut pas de même des Hmong.. Hommes de la terre, ne parlant ni le français, ni même le laotien, ils étaient plus difficilement intégrables. C’est alors que Guy Lherbier qui, en tant que Président de l’association Lao-France, était un des responsables de la section « Laos » du Comité national d’entraide aux réfugiés du sud-est asiatique fit la connaissance de Pierre Dupont-Gonin. Celui-ci était un haut-fonctionnaire qui avait été responsable des services douaniers au Laos, puis en Guyane et travaillait alors au service de la formation professionnelle de la préfecture de l’Ile de France. Faisant la jonction entre ses deux anciennes affectations territoriales, Pierre Dupont-Gonin fut l’artisan de l’installation de 556 Hmong laotiens en Guyane, une opération entreprise dans le cadre du plan Vert ..dit aussi plan Stirn. Opération d’ailleurs réussie puisqu’aujourd’hui les Hmong (2 000 personnes) alimentent en fruits et légumes toute la population guyanaise....
C’est alors que Guy Lherbier me fait savoir qu’il aimerait bien retrouver la trace de ce haut-fonctionnaire, non pas seulement pour remémorer d’anciens souvenirs, mais aussi et surtout parce que Pierre Dupont-Gonin est l’arrière petit-neveu d’Henri Mouhot. Or, « avant de quitter cette terre », Guy Lherbier aurait aimé apporter, en témoignage de sa reconnaissance à celui qui avait aidé des Hmong abandonnés notamment en Thailande, le travail réalisé pour honorer la mémoire de son ancien parent.
Mais ou était Pierre Dupont-Gonin ? Etait-il d’ailleurs toujours de ce monde (selon Guy Lherbier, il devait, comme lui, être octogénaire) ?
« Ne pouvez-vous pas entreprendre des recherches ? cela me ferait grand plaisir d’avoir de ses nouvelles « me dit, avec un grand sourire, Guy Lherbier en tournant son malicieux regard vers ma personne.
Un mois plus tard, fin mars, j’avais le plaisir de transmettre à Guy Lherbier les coordonnées de Pierre Dupont-Gonin.. Guy Lherbier, apréès m’avoir remercié, me déclara : « puisque vous avez si bien commencé cette mission, dès votre retour en France, téléphonez-lui de ma part et dites-lui qu’il est attendu pour fêter le 150ème anniversaire du décès d’Henri Mouhot, un novembre prochain à Luang Prabang... »
(41) juridiquement, il y avait, au début de la présence française en Indochine, cinq entités: deux protectorats (Annam et Cambodge), une colonie (Cochinchine) et deux pays à statut mixte (Tonkin et Laos) avec un Gouverneur Général à Hanoi et cinq Gouverneurs dans chacun des pays.
Le protectorat se différencie du statut de la colonie en ce sens qu’il procède d’un accord entre une autorité locale et l’Etat francais. La colonie, elle, est sous administration directe (les habitants de la Cochinchine étaient réputés « sujets » francais -mais non citoyens- et étaient représentés à l’Assemblée nationale par un député).
Dans les faits, la distinction entre protectorat et colonie était mince .... et jugée sévérement par les nationalistes des pays sous « présence » francaise. Bourgiba analyse ainsi la sémantique francaise : « lorsque les Francais parlent de protectorat, il s’agit d’une véritable administration directe. S’ils évoquent l’autonomie interne, ils veulent dire protectorat. Et ce qu’ils nomment indépendance n’est rien d’autre que l’autonomie interne.. » - Bourgiba rapporté par Jacques Dalloz – La Guerre d’Indochine (1945 – 1954)
(42) Jacques Dalloz, dans son livre référence sur la guerre d’Indochine (1945- 1954) consacre 98,5 % des 300 pages de son livre au Viet Nam. Il en reste donc 1,5 % pour le Cambodge et le Laos...
(43) le Préfet a utilisé un texte émis au sortir de la Libération permettant aux militaires qui avaient eu « un comportement honorable » pendant la seconde guerre mondiale d’intégrer « la Préfectorale »
(44) la traduction fidèle du Vat est « temple-monastère » puisqu’on y trouve à la fois des bâtiments religieux et les habitations de moines et de novices. Le plus important Vat de Luang Prabang (Vat Monorom) compte environ 120 novices et une quinzaine de moines.
Pour la bonne compréhension du texte, il faut se rappeler qu’un Vat est un espace clos -mais toujours accessible à tous- comprenant au moins :
· un stupa (That en laotien) de forme conique renfermant des reliques de bouddha
· un bâtiment sacré (Sim -en laotien-) destiné à la prière. Il abrite une ou des statues de Bouddha. Les moines y sont ordonnés. Il témoigne des différentes formes d’architecture religieuse (chaque lieu et chaque époque a son style de Sim) et, par ses décorations et peintures, rappelle l’histoire du bouddhisme. L’entrée du Sim se fait par un large parvis formant une terrasse intégrée au bâtiment principal
· un bâtiment (Mondop) de forme rectangulaire ou carrée et ouvert sur les cotés ou sont entreposés les objets religieux du culte. Il sert de lieu de réunion et de repas
· une bibliothèque ou sont entreposés les textes sacrés
· une tour au sommet de laquelle se trouve un tambour. Ce tambour a pour première fonction de symboliser le pouvoir. Selon certains historiens, son origine serait antérieure au bouddhisme et remonterait à Dongson, localité du Viet Nam, berceau d’une civilisation fort ancienne et dont le niveau de développement est attesté par des tambours en bronze. Alors, les vainqueurs ramenaient le tambour de la cité vaincue en trophée pour marquer leur nouvelle suzeraineté. Dans les Vats du Laos, le tambour est utilisé lors de jours précis du calendrier lunaire prévus par les textes bouddhiques.
Pour les besoins quotidiens (appel à la prière et réveil des moines), on utilise une cloche souvent remisée à l’entrée du Sim.
Dans l’enceinte du Vat, on trouve aussi un gong a usage aussi rituélique (souvent les fidèles accompagnent leurs prières du son du gong)
· souvent, un arbre sacré (banyan) sous lequel Bouddha recut son illumination
· des habitations (Kuti) pour les moines et les novices
Le Vat appartient à la fois aux habitants du « village » et aux moines
(45) le « hang hoth » est une sorte de « gouttière » faite en bois et longue d’une dizaine de mètres censée représenter le corps d’un dragon (voir 46). D’ailleurs, elle est parée à l’une de ses extrémités d’une sculpture figurant la tête de cet animal. Les fidèles déversent à l’autre extrémité de l’eau dans laquelle on a dispersé des pétales de fleurs. Mais, à la différence de ce que j’avais observé à Bali (voir feuille de route 20 : « crémation à Bali «), l’eau n’a pas été l’objet d’un rituel particulier préalable. A l’autre bout du « hang hoth », l’eau se déverse soit sur une statue de Bouddha (lors du nouvel An) soit sur un moine Abbé (lors d’une ordination), « sanctifiant » ainsi le précieux liquide, pieusement recueilli par les fidèles
(46) les dragons ont une connotation positive en Asie. Aussi souvent les trouve-t-on à l’entrée des temples, surtout s’ils sont situés à proximité d’un cours d’eau, d’une rivière ou d’un lac.
Ils conjurent la sécheresse en faisant naitre des sources, mais ils peuvent aussi atténuer les inondations
(47) les questions étant quasiment toujours posées dans le meme ordre, chaque visiteur pourrait faire les questions et les réponses. Vraisemblablement, les livres scolaires d’anglais doivent uniformément présenter le chapitre « : que dire quand on rencontre un étranger ? » dans cet ordre considéré comme immuable
(48) or les moines et les novices doivent tous les 28 jours -lors du changement de lune-, en signe d’humilité, se raser totalement le crâne et les sourcils -et un éventuel soupcon de moustache-. Or, le 14 mars, la pleine lune commencée quelques jours auparavant faisait que tous les moinillons du pays étaient totalement rasés
(49) on peut être novice jusqu'à 20 ans. Ensuite, soit on quitte le Vat soit on devient moine. Beaucoup de novices sont, en fait, des jeunes de la campagne qui trouvent, de par ce biais, un moyen de financer des études. Rares sont ceux qui deviennent moines.
En ce qui concerne les moines, il convient de rappeler que leurs vœux ne sont pas perpétuels. Beaucoup sont, en fait, des hommes qui, après une vie professionnelle qu’ils estiment terminée, vers 70 ans ou plus, se retirent dans un Vat. Si leur épouse est encore en vie, ils doivent toutefois recevoir son consentement
(50) le khéne est un assemblage d’une ou de deux rangées de bambous fins (8 ou 16), de longueur décroissante, maintenus par un morceau de bois creux dans lequel l’air est inspiré et expiré, ce qui fait ainsi vibrer des anches -de petites languettes- d’argent- situées sur les ouvertures pendant que les doigts parcourent les petits trous faits sur les bambous
(51) en mars 2009 : un euro : 11 000 kips
(52) kharma : dans la culture bouddhiste, le sort de chacun est déterminé par son kharma, c’est-à-dire son « âme » qui porte trace de toutes ses vies antérieures. L’action de chaque croyant va donc consister à essayer d’améliorer son kharma pour que, dans les vies postérieures, le sort de son âme s’améliore jusqu’à parvenir au « nirvana », c’est-à-dire à la libération totale de l’enveloppe charnelle, la vie sur terre étant synonyme de souffrances
(53) le lao-lao est un alcool de riz. Sa fermentation se fait avec avec des herbes aromatiques qui lui conférent une saveur spécifique
(54) figurait également au « menu » de ce repas une spécialité de Luang Prabang : des algues séchées avec des graines de sésame et d’autres condiments, puis frites avant leur consommation.
Une anecdote relative aux algues séchées...et signe des temps... Les algues frites de Luang Prabang sont délicieuses et donnent du travail à une partie de la population locale. Qu’elle ne fut pas ma surprise, alors que quelques jours plus tard, je déjeunais d’une soupe dans le principal marché de la ville (Phosi) de voir un jeune lao coller sur tous les piliers de l’édifice des affiches aux couleurs vives... vantant les mérites des “algues séchées... du Japon”. Il s’agissait d’une campagne publicitaire pour lancer un nouveau produit vendu -à quantité égale- dix fois plus cher que les algues locales dans un emballage en papier aluminium couteux et polluant ... mais “avec des vitamines... et vu à la télé”... Peut-être que d’ailleurs ces algues venaient du Laos... Et tout cas, elles avaient bien voyagé...
(55) on considère qu’environ les 2/3 de la population est de religion bouddhiste. L’autre 1/3 est animiste. Il n’en reste pas moins un fond d’animisme généralisé. Il se manifeste par la croyance dans les « phi ». Un « phi » est l’esprit présent dans chaque chose, dans chaque phénomène. Il peut être un génie malfaisant ou protecteur. Il convient donc d’éloigner ou de rendre inopérant les mauvais esprits et de conserver ou de s’attirer les bonnes grâces des bons.
Il en va ainsi pour la pratique très répandue du baci : pour les Laotiens, chaque personne posséède 32 ”esprits protecteurs”. Il importe donc que cette personne soit en possession de ses 32 “esprits” à la veille de chaque événement important de sa vie pour lui assurer santé et réussite dans sa réalisation. Par exemple, à la veille d’un départ en voyage. Le cérémonial du baci commence donc par des prières incantatoires qui ont pour objet de “rappeler” tous nos “esprits” égarés, notamment lors de diverses pérégrinations. Ces “esprits” étant alors de retour, il convient de les “attacher” à la personne par la pose symbolique de fils de cotton autour des poignets de la personne en l’honneur de qui le baci est organisé. Un repas clot la cérémonie.
En principe, les moines ne participent pas au baci puisqu’il ne s’agit pas d’une manifestation bouddhiste. Toutefois, le boudhisme a su « s’accomoder » du culte des esprits. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’un « baci » pour un nouvel objet (maison, voiture, etc..), les moines célébrent un baci en entourant le nouvel objet du symbolique fil de cotton. De même, il existe, à Vientiane, un Vat -celui de si Muang- où des moines sont préposés à la délivrance d’un baci. Cette pagode est vraisemblablement la plus fréquentée de toute la ville.
(56) un gallinacé qui, toutefois, avait du concourir plusieurs fois aux Jeux Olympiques.
(57) en ce qui concerne Laphon, j’utilise le mot anglais de “sponsor” pour désigner la famille qui a pris en charge financiérement son ordination plutot que le mot de “parrain”
(58) j’ai interrogé Laphon sur cette différence. Pourquoi portait-il, avant son ordination, une chasuble blanche alors que son collègue portait la couleur habituelle des moines, l’orange. Voici l’explication. Laphon avait du quitter ses habits de novice -oranges- et porter des habits « civils » une quinzaine de jours avant son ordination pour pouvoir rendre visite a ses « sponsors »… Ce qui expliquait sa tenue vestimentaire lorsque je le rencontrais pour la première fois dans l’enceinte du Vat de Phonesath. Selon la règle bouddhique, il devait donc porter une chasuble blanche le jour de son ordination alors que son collègue -qui, lui, n’avait jamais quitté ses habits de novice de couleur orange- pouvait se rendre a la cérémonie avec ceux-ci
(59) le mak beng est un cône de 10 à 50 centimètres de haut fait de feuilles de bananier et orné de fleurs, de batons d’encens, de bougies et parfois de billets. En principe, il est porté dans une coupe d’argent
(60) je me suis étonné auprès de Laphon de l’absence de sa mère dans l’enceinte du Sim alors que s’y trouvait le couple qui le parrainait. Sa mère, parée de ses plus beaux -mais modestes- habits était arrivée, la veille, de son village -c’était la première fois de sa vie qu’elle se rendait à Luang Prabang- et elle était le seul membre de sa famille biologique à être présente à l’ordination. Il est en outre vraisemblable que le voyage avait du lui couter une partie de ses économies. Or pendant toute la cérémonie -qu’il s’agisse des repas ou de l’ordination-, elle était toujours restée seule et à l’écart. Je me peinais de voir cette pauvre femme, hors de son milieu habituel, d’abord reléguée dans la foule lors de l’arrivée du cortége au Vat, puis, son petit sac au bout de son bras, agenouillée dans le peristyle qui entourait le Sim alors que les “sponsors”, confortablement installés à l’intérieur du Sim sur des coussins, accompagnaient Laphon dans toutes les cérémonies de l’ordination.
Quelque peu gêné, Laphon me répondit finalement que “il est normal que ceux qui ont payé l’ordination soient aux places d’honneur”. Ainsi fonctionnent encore les sociétés d’ici et vraisemblablement ont fonctionné nos sociétés, il y a quelques siècles. Nous, occidentaux, avons oublié ce que signifie ne pas savoir de quoi sera fait le lendemain et pouvons donner la priorité aux sentiments par rapport à la satisfaction des besoins primaires. L’attitude de Laphon ne signifie toutefois pas son désintéret pour sa mére. Comme tous les Lao -et tous les Asiatiques-, il éprouve pour ses parents un respect viscéral, pouvant aller jusqu’au sacrifice.
Comment expliquer que l’enfant asiatique manifeste à l’égard de ses géniteurs une obéissance et une déférence qu’on ne constate guère dans les relations familiales nos sociétés occidentales.
Ici, l’enfant est certes choyé, mais tant qu’il ne marche pas. Dès qu’il tient sur ses jambes, et au plus vers l’âge de 2 à 3 ans, son environnement est son lieu d’éducation.. Rapidement, l’enfant -surtout évidemment à la campagne- est mis au travail. Alors que les enfants occidentaux sont choyés et dorlotés -et parfois infantilisés- jusqu’à un âge fort avancé, ici, personne ne semble montrer de sentiments affectueux à l’égard de sa progéniture. Logiquement, pour un esprit occidental, l’enfant devrait alors se détourner rapidement de sa famille biologique qui ne lui assure au mieux que le gite et le couvert. Or, c’est le contraire qui se produit car l’enfant prend alors conscience de sa “fragilité” dans un environnement vite ressenti comme dangereux et de la nécessaire protection vitale que lui assure sa famille.
Ce protecteur “bouclier” familial s’inscrit dans un cadre relationnel beaucoup plus hiérarchisé, plus formaliste, plus marqué par les traditions qu’en occident. Pour éviter alors que celui-ci ne soit ressenti comme une “prison”, les relations internes sont également empreintes d’un plus grand esprit de tolérance que chez nous. Ici, on ferme facilement les yeux sur les incartades des uns et des autres. Tolérance qui souvent s’étend aux comportements sociétaux et qui fait parfois croire, à tort, à l’étranger de passage que règne ici une licence permanente et généralisée.
Evidemment, ce type d’éducation et de réactions correspond à une société fortement imprégnée d’une culture qui s’appuie sur la croyance dans “le culte des ancêtres”. Qui est alors la poule ou qui est l’oeuf ? En tout cas, il est patent que cette nature de relations est remise en cause lorsque les enfants changent de contexte. Nombre de mes amis asiatiques vivant en occident ou a l’occidentale apprennent vite que la piété filiale traditionnelle s’évapore au fur et a mesure que leurs enfants s’occidentalisent
(61) c’est munis de ce bol à offrandes que les moines vont, pieds nus, chaque matin, parcourir les rues de la ville à la quête de leur nourriture quotidienne. Un moine ne doit posséder que ses habits- une sorte de toge en deux/trois pièces, un rasoir, une aiguille et un filtre (pour ne pas avaler ou blesser des insectes qui auraient pu se glisser dans son eau). Il a également un bol à offrandes, une paire de sandales, un sac-besace et un parapluie
mardi 28 avril 2009
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