Et si le volcan Toba (Indonésie) se réveillait ?Le 23/11/2010
Feuille de route 28 : et si le volcan Toba (Indonésie) se réveillait ?
Se rendre sur l’île d’une île… Pour ce faire, partant de Bali, j’ai refranchi l’équateur pour me retrouver dans l’hémisphère nord et, plus précisement, sur l’île de Sumatra (1). De Medan, la principale ville de cette île, je me suis rendu sur les rives du lac Toba, le plus grand lac d’Asie du sud-est. Long de 100 km et large de 30 km, de forme ovale, il couvre une superficie de 1 707 km2. L’île de Samosir, c’est juste au milieu…Impressions d’un voyage effectué en juillet 2010.
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Paisibilité. C’est ce que ressent le voyageur, lorsqu’après avoir sauté du bateau sur le ponton, fait de planches brinquebalantes, du petit port de Tuk Tuk, il fait ses premiers pas sur l’île de Samosir. Le fait d’être sur une île n’est vraisemblablement pas étranger à cette impression. Sur une île, on a le sentiment d’être dans un monde à part, loin de la terre ferme et de ses contraintes.…
Ici, tout se fait de facon très décontractée. Difficile souvent de trouver le gestionnaire du magasin où l’on veut acheter une bouteille d’eau. ll est souvent attablé chez ses voisins en train de jouer une partie d’échecs ou d’un jeu qui s’apparente aux dominos… ou de faire sa sieste dans l’arrière-fonds de sa boutique…. Pas de passeport ou de quelconque document d’identification à présenter à M. Moon, le sympathique propriétaire de mon lieu d’hébergement : “je vous donne la ”maison batak” numéro 4 … Et pour la note ? : “vous paierez le jour de votre départ”... Comme à l’accoutumée, je m’enquiers, dès mon arrivée, de la possibilité de louer une moto pour parcourir l’île. Dès le lendemain, m’attendait à la porte de ma maison batak, une moto, ma foi quasi neuve. Avant d’enfourcher l’engin, je demande à M. Moon un casque comme le code le route indonésien l’impose. “Ce n’est pas nécessaire”.. “pourquoi ? (2)“ “eh bien, nous sommes aujourd’hui vendredi. Or, il n’y a que le samedi -car c’est jour de marché à Tomok, la principale ville de la côte est de l’île- qu’il arrive à la police de contrôler la circulation et de vérifier le port du casque (3)”... “Et puis” ajoute-t-il avec un grand sourire, “au pire, cela vous coûterait 10 000 roupies (4)”… évidemment pour arrondir les fins de mois du policier de service. Faut-il en conclure que les pandores de l’ile consacrent les autres six jours de la semaine à se perfectionner à la belote locale ?
Parcourir l’île est un enchantement pour tous les sens. S’émerveiller devant ses fabuleux paysages où l’eau turquoise répond aux couleurs brunes des côtes escarpées ou au vert vif des zones herbagères ou des cultures en terrasses dans une éclatante harmonie de couleurs. Respirer les effluves odoriférantes dégagées par les clous de girofle (5) séchant au bord des routes et pistes de l’île. S’émerveiller devant l’explosion des fleurs équatoriales aux formes bizarres, aux couleurs éclatantes et aux tailles inhabituelles (6). Se laisser séduire par les chants ou les accords de guitares -que tous les jeunes “gratouillent” en permanence surtout le soir, et jusqu’à une heure avancée de la nuit- qui montent de la plupart des maisons ou des places…les Bataks semblent ne pouvoir vivre sans un permanent fond musical. Saluer d’un grand “hello” les enfants (7) qui reviennent de l’école en uniforme, assez souvent nus-pieds (8) et essaient d’échanger avec vous quelques mots. Répondre aux sempiternelles questions posées à tout étranger : “ où allez-vous ?”, puis “où est votre famille ? “ (9) par les hommes attablés aux cafés (10) ou par les femmes dont les plus jeunes portent toutes à la taille, tenu par une écharpe, un bambin. Echanger mille sourires, dans un magasin, pour le moindre achat, ou pour refuser que la personne devant vous ne vous cède son tour… Le tout dans de grands éclats de rires naturels qui donnent l’impression de ne rencontrer que des gens heureux.
Et hors ses habitants, on ne rencontre, ça et là, que quelques rares touristes qui apprécient, en plus du trekking et des baignades dans les eaux fraîches du lac ou chaudes des sources, de permanents échanges de sourires dans une ambiance destressante.
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Qui sont donc les habitants de l’île ?
Cette île, peuplée de 517 000 habitants, est homogène ethniquement puisque peuplée quasi exclusivement de descendants de Bataks, un peuple vraisemblablement originaire du nord de la Thaïlande, chassé par la migration de tribus siamoises. Ils s’implantèrent alors autour du lac Toba. Ils furent “découverts” en 1783 par un voyageur britannique, William Marsden, qui rapporta avoir rencontré un royaume doté d’une culture élaborée et d’un système d’écriture.
Le relais fut rapidement pris par des missionnaires. Les premiers terminèrent leur vie peut-être dans un chaudron, le peuple batak ayant pratiqué l’anthropophagie jusque la première moitié du XIXème siècle. Un religeux luthérien allemand, du nom de Nommensen, eut plus de chance que ses prédécesseurs car son arrivée coïncida avec une série de récoltes exceptionnelles, ce qui amena le Roi Sidabutar à abandonner les croyances animistes des Bataks et à se convertir. Pasteur et Roi sont d’ailleurs enterrés, à Tomok, côte à côte, dans le cimetière royal.
Le peuple batak est donc aujourd’hui christianisé, majoritairement protestant, avec une minorité catholique. Si l’île de Samosir constitue son fief, ce peuple de cinq à six millions d’âmes s’étend autour du lac dans un rayon de 200 à 300 km, mais, là, en mixage décroissant avec les populations musulmanes de l’île de Sumatra (11).
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Est-ce la vue des temples ou des églises avec leurs clochers qui parsèment la campagne…Ici, le dimanche est un jour sacré et seulement dédié aux devoirs religieux. Les mouvements chrétiens semblent d’ailleurs être les seuls centres d’animation de la vie sociale. Est-ce la découverte de ces bâtiments traditionnels dont les deux extrémités du faîte du toit sont relevées. Est-ce l’omniprésence des buffles d’eau qui paissent paisiblement dans tous les espaces verts, menés par des enfants. Sont-ce ces paysages très accidentés et les cultures en terrasses. Est-ce l’importance de la vie rurale et agricole, la première activité économique de l’île. Ce fut, en tout cas, ma deuxième impression en séjournant, pendant une dizaine de jours, sur cette île. L’apparente similitude entre l’île de Samosir et celle de Célèbes, et plus précisement le pays Tana Toraja (12), m’a parfois fait croire que je me trouvais sur cette dernière.
Des chercheurs affirment d’ailleurs que les peuples Toraja et Batak seraient originaires des mêmes régions d’Asie, à savoir du nord de la Thaïlande, de la Birmanie et du Laos (13).
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Encore un paradis terrestre (14)?
Pour le touriste, peut-être. Mais un passage dans ce lieu enchanteur l’appelle aussi à la modestie et à l’humilité car il lui fait prendre conscience de la fragilité des choses. En effet, le lac Toba et l’île de Samosir ont pour origine une explosion volcanique, celle du volcan Toba, qui faillit faire disparaître l’humanité.
Remontons le temps..
Il y a 73 000 ans -à 4 000 ans près- notre globe terrestre aurait affronté, avec l’explosion du volcan Toba, la plus importante éruption volcanique jamais connue dans l’histoire terrestre. L’énergie libérée alors aurait eu une équivalence d’un milliard de tonnes de TNT.
Pour mieux mesurer ce que représente ce chiffre, on peut comparer l’explosion du volcan Toba à celle du volcan Krakatau (15), la plus colossale éruption volcanique des derniers siècles, qui, elle, fut mesurée scientifiquement et eut lieu, aussi en Indonésie, en 1883. Le Krakatau est une île volcanique située dans le détroit de la Sonde, à mi-distance entre Java ouest et le sud de Sumatra. Elle fait partie d’un ensemble de trois îles issues d’une précédente explosion volcanique qui avait secoué la région en l’an 535. Mais, en 1883, tout semblait alors calme. Et depuis plus de deux siècles, les trois volcans qui constituaient l’archipel de Krakatau semblaient “éteints”..
Le 27 août 1883, commence une série d’explosions. A 9h. 58 se produit la plus énorme. Elle sera perçue dans un rayon de 5 000 km. L’onde choc est si puissante que toutes les vitres volent en éclats dans un rayon de 500 km. Elle fera 7 fois le tour de la planète. Cette explosion colossale est accompagnée d’un immense raz-de-marée. On estime à 47 m. la hauteur de la vague qui, deux heures plus tard, s’écrase sur les côtes de Java et de Sumatra, soit à hauteur d’un immeuble 15 étages.. Quelques jours après l’éruption, on a remarqué une montée anormale des eaux au Mont Saint Michel et dans le golfe de Gascogne.
La hauteur du panache volcanique atteint alors 48 000 mètres. Les cendres rejetées par le volcan retombent sur une surface de 700 000 km 2. L’obscurité est totale dans un rayon de 600 km.
Après une “pause” dans ses manifestations volcaniques, le volcan Krakatau reprit des activités à partir de 1927. La dernière éruption remonte à 2009…
Pour pouvoir comparer l’énergie explosive des ces diverses éruptions (Toba et Krakatau), il faut savoir que l’énergie développée par l’éruption du Krakatau, en 1883, correspond à 10 000 bombes d’Hiroshima. Celle développée par l’éruption du même volcan en 535 aurait eu une puissance équivalente à 20 000 bombes d’Hiroshima, ce qui a alors engendré alors un hiver volcanique sur notre planète pendant plusieurs années..
Or, -mais ce ne sont certes que des hypothèses de chercheurs- la puissance développée par l’éruption du volcan Toba, il y a 73 000 ans, aurait eu une puissance qui varie, selon les experts, entre 67 000 bombes d’Hiroshima et 40 millions de bombes atomiques !!! Toute la vie végétale et animale de notre planète en fut bouleversée. Pour certains chercheurs, l’espèce humaine (homo sapiens et homme de néandertal) faillit en disparaitre. Une couche de 15 centimètres à six mètres de cendres volcaniques aurait alors recouvert le sud de l’Inde. Il est également possible que cette éruption ait formé une couche de nuages d’acide sulfurique tout autour du globe terrestre. Il en aurait résulté une baisse des températures de l’ordre de six à dix-sept degrés selon les latitudes et un “hiver volcanique” d’une durée de six ans. Concomitamment, se déroula alors une glaciation d’une durée d’un millénaire dont l’une des causes ou la cause pourrait être l’éruption du volcan Toba.
Une grande surface s’effondra au centre du cratère, formant une caldeira (16) qui se remplit d’eau, créant ainsi le lac Toba d’une profondeur de 450 mètres. Il y a 30 000 ans, le centre de la caldeira se souleva sous la pression du magma restant pour donner l’ile de Samosir.
Selon certains experts, une nouvelle explosion volcanique du Toba ne serait pas à exclure (17).
Jean-Michel Gallet
(1) l’ile de Sumatra, une des 17 500 de l’archipel indonésien, s’étend sur 1 650 km. Sa superficie est de 473 606 km2. Elle est peuplée de 40 millions d’habitants
(2) La route est un roman inépuisable. Comme dans nos pays occidentaux, existe un code de la route très complet. La différence provient de ce qu’ici l’application des dispositions réglementaires est plutôt laxiste. Ce qui peut prêter soit à sourire, soit à fermer les yeux si on est un témoin direct de leur non-respect.
En l’espèce, je voulais rejoindre par la route les rives du lac Toba en partant de Medan, la principale ville du nord de l’île de Sumatra. Je choisis la solution du minibus nettement plus pratique que celle du bus qu’il faut aller rejoindre dans une banlieue éloignée.
Après avoir entassé mon sac avec ceux des autres passagers dans l’étroit espace arrière dédié à cette fonction, je me glissais sur la banquette avant avec un autre passager et le conducteur. Ce dernier, avant de démarrer, me fit alors comprendre, avec force sourires et gestes qui se voulaient explicatifs, qu’il me fallait, l’imiter. Ce qui signifiait que je dus extirper de l’arrière de la banquette une lanière de tissu -que nous appelons habituellement ceinture de sécurité-. En l’espèce, celle du passager avant du minibus était assez longue pour ceinturer le recordman mondial de l’obésité: elle devait faire au moins trois mètres de diamètre. Mais surtout, il n’y avait plus de cliquet à hauteur du siège pour enclancher la boucle. Mais ce qui importait était que le conducteur et le passager assis à l’extrême gauche -en Indonésie la conduite se fait à gauche- semblent avoir la taille barrée d’une lanière afin de pouvoir laisser croire aux forces de police que la réglementation était respectée.
J’étais donc en première ligne pour, pendant les cinq heures du voyage, être le témoin direct des pratiques de conduite locales qui semblent obéir à une autre logique que la nôtre….
Le principe de conduite est simple : si j’ai rattrapé le véhicule qui me précède, il est “logique” que je le dépasse.. “Ah bon, il y a une ligne jaune” -éventuellement double pour une raison inconnue-…”Ah bon, il y a un virage” -et ils sont nombreux sur cette île essentiellement montagneuse dans sa partie septentrionale-. Qu’importe, je colle au véhicule qui me précède pour profiter de l’effet d’aspiration et je dépasse.. “ Ah bon, un véhicule surgit en face…”. Pas de problème…Le conducteur, le visage toujours illuminé d’un grand sourire, se tourne alors vers le passager assis le plus à sa gauche sur la banquette de devant -en l’espèce, ma personne- et le prie d’un geste ponctué d’un “window, window (fenêtre ..fenêtre)” d’abaisser le plus rapidement possible la vitre -manoeuvre qui, à ma surprise vu l’état général du véhicule- se révéla possible et d’agiter le bras gauche par ladite fenêtre.. Geste qui signifie au conducteur en voie de dépassement que nous allons nous rabattre de toute urgence.. Et, à ma grande surprise, le conducteur du véhicule en voie de dépassement obtempère. Imaginez la bordée d’injures qu’un conducteur occidental aurait émis face à cette manoeuvre. Mais dans le monde marqué par la culture hindoue-bouddhique -globalement l’Asie-, on évite systématiquement, dans les relations sociales, l’affrontement frontal avec les autres.. de là, d’ailleurs s’explique la règle de ne jamais vouloir faire perdre la face à quelqu’un
(3) dois-je préciser que ledit casque ne comportait pas de jugulaire.. une sorte de casque-casquette, peut-être pour se protéger du soleil ou de la pluie
(4) taux de change en juillet 2010 : un euro : environ 11 000 roupies
(5) le giroflier est d’origine indonésienne. Les boutons floraux, dénommés clous de girofle, sont séchés au soleil jusqu’à ce qu’ils prennent une teinte brun foncé. Le clou de girofle était traditionnellement utilisé en médicine et en cuisine. De nos jours, 95% de la production (l’Indonésie est le premier producteur mondial des clous de girofle) est utilisé pour la production des kreteks (cigarettes indonésiennes)
(6) c’est un peu plus au sud de l’île de Samosir que se rencontrent les plus grandes fleurs du monde : la rafflésie qui peut atteindre un mètre de diamètre et l’arum titan dont la fleur peut atteindre près de trois mètres de diamètre. Elles dégagent toutefois toutes les deux une odeur fort désagréable
(7) les enfants vont à l’école -confessionnelle- sur l’île de Samosir jusqu’à la fin du primaire. Ensuite, ils doivent poursuivre leurs études “sur le continent »
(8) souvent, les chaussures à la main “pour ne pas les user sur la route”
(9) en Indonésie, on aborde tout étranger par la question : “où allez-vous ? “, ce qui peut surprendre ou déstabiliser l’occidental. En réalité, cette question pourrait se traduire plutôt par notre sempiternel : “ça va? “ auquel on répond systématiquement par l’affirmative quelle que soit sa situation du moment. Demandez à quelqu’un où il va, n’a rien, dans l’esprit indonésien, d’inquisiteur. C’est d’abord une façon d’aborder la conversation. Il suffit d’ailleurs de répondre : “jalan, jalan” - c’est-à-dire “je vais mon chemin”- pour satisfaire l’apparente curiosité de votre interlocuteur..qui embraie aussitôt sur la deuxième question : “ où est votre famille ?”. Un Indonésien, comme tout asiatique (les exceptions sont rares) ne peut en effet concevoir que vous viviez seul. Si vous répondez que votre famille est restée à la maison, la curiosité de votre interlocuteur est de nouveau satisfaite et il peut, éventuellement, passer à une troisième question. Mais ce n’est pas systématique, car par les deux questions susmentionnées, il a rempli son devoir d’hospitalité et de courtoisie envers tout étranger de passage. Si, par contre, vous répondez que vous n’avez pas d’enfants parce que pas d’époux ou d’épouse, alors, se lit sur le visage de votre interlocuteur un sentiment d’incompréhension et de compassion peinées. “Comment ? vous n’avez pas assuré votre descendance ? Vous devez être bien malheureux”.. Il arrive alors qu’on vous propose de remédier à votre situation intenable en vous assurant qu’il existe “pas loin d’ici” de jolies filles qui ne demandent qu’à “faire un bon mariage” pour assurer la continuité familiale.
Ici, on nait, on se marie, on a des enfants et on meurt. Pas question de discuter les règles sociales ou de les adapter à son cas personnel. La liberté individuelle est un concept théorique -sauf pour une minorité ayant souvent vécu à l’étranger-. On imagine ces pays comme étant ceux de la Liberté -parce que le sourire fleurit en permanence sur toutes les lèvres- alors que leurs habitants sont en fait soumis à des règles sociales très strictes et, par rapport à nos valeurs, très contraignantes. Reste à savoir comment réagiront les jeunes générations, davantage formées intellectuellement, face à ces règles
(10) seuls les hommes fréquentent les cafés..aux femmes, une grande partie des travaux des champs et les soins aux enfants
(11) Au nord cette zone “mixte” -où Bataks et autres ethnies musulmanes se mêlent- se trouve la province d’Aceh, région qui paya un lourd tribut au tsunami de décembre 2004 (170 000 victimes) et fief des intégristes musulmans. La province d’Aceh se veut en effet la région qui, au sein de l’archipel indonésien, se convertit la première à la religion musulmane, et ce, dès le XIIIème siècle. Et surtout, elle a toujours été tentée par le séparatisme par rapport au reste de l’île.
Ainsi, en 1953, le parti islamique y instaura une République islamique, refusant que les Acehnais soient réunis dans la même province que les chrétiens bataks. S’ensuivit une période de quasi guerre civile jusqu’à ce que le pouvoir central indonésien accorde à Aceh, en 2002, un statut d’autonomie spéciale. En réalité, l’autonomie ne fut effective qu’à partir de 2005 après quelques années de troubles. Cette autonomie permit aux autorités locales de mettre en oeuvre la charia. Ainsi, en application d’une loi votée en septembre 2009, a été introduite la peine capitale pour adultère. Plus prosaïquement servir de la bière à un musulman expose son auteur à une peine de 40 coups de fouet. En principe, ce châtiment n’est pas applicable aux non musulmans.
Le reste de l’île de Sumatra, à majorité musulmane, applique une religion exempte des rigueurs du rigorisme acehnais
(12) voir feuille de route 24 : “ Tana Toraja : une religion face au mystère de la mort”
(13) mais les points communs entre pays Toraja (Célèbes) et pays Batak (Sumatra) s’arrêtent là. Ici, sur l’île de Samosir, la vie culturelle antérieure batak a quasiment disparu. Certes, dans des cas extrêmes, se maintiendraient quelques croyances animistes, comme par exemple, des pratiques de magie ou un culte rendu aux esprits des ancêtres.
Mais, à la différence de ce qui se passe en pays Toraja, en pays batak tout semble “normalisé”. Ici, pas de “religion du buffle”. Les animaux travaillent dans les champs comme toute bête de somme et ne font l’objet d’aucun culte particulier. Ici, les défunts sont enterrés quelques jours après leur décès après une cérémonie religieuse à l’Eglise ou au temple et non, comme en pays toraja, parfois des années après leur mort (en septembre 2010, en pays toraja, j’ai rencontré une dame qui avait, l’année précédente, enterré sa grand-mère décédée 25 ans auparavant. La famille en d’ailleurs profité pour inhumer, lors de la même cérémonie, la fille et une soeur de la défunte toutes deux décédées entre temps) et dans le cadre de cérémonies spécifiques, loin des rites chrétiens. Ici, sur l’île de Samosir, les bâtiments de forme “tongkonan” aux deux extrémités du toit relevées servent soit de sépulture ou, surtout sur la côte sud de l’île, de maisons d’habitation, mais ces dernières n’ont plus de fonction spécifique comme en pays toraja, à savoir être le symbole de “la maison du seigneur des lieux“ dans le cadre d’une société de castes. En conséquence, l’orientation des tongkonans batak n’obéit à aucune règle alors qu’en pays toraja, le tongkonan est toujours orienté vers le nord. Ici, ils servent tout simplement de foyer familial, ne sont pas divisés en trois espaces, mais n’ont qu’une seule pièce -avec souvent une sorte de mezzanine pour la “chambre” des parents-.
Comment expliquer cette disparition de la culture batak à la différence de ce qui se passe en pays toraja ?
Quand on parcourt le pays batak, la pauvreté de ses habitants saute aux yeux. Ici, la quasi totalité de la population vit de l’agriculture et de la pêche. L’habitat est spartiate. Les vêtements usagés. Très rares sont ceux qui possèdent un véhicule.
A l‘inverse, le voyageur qui parcourt le pays Tana Toraja est frappé par la qualité de l’habitat. Dans la quasi totalité des villages surgissent de nouvelles constructions. L’habillement est en général de qualité -voire de marque-. L’équipement des maisons, notamment en électro-ménager, est généralisé. Le parc motocycliste et automobile relativement développé. Et surtout, les habitants financent des cérémonies liées aux funérailles fort onéreuses…
Pourquoi cette différence de niveau de vie ?
Les populations de l’île de Samosir et du pays Tana Toraja sont à peu près équivalentes en nombre (environ 500 000 personnes dans les deux cas) et la totalité des peuples batak et toraja à peu près équivalente (5 à 6 millions de personnes). Les superficies des territoires concernés quasi identiques.
Mais il existe une différence fondamentale entre ces deux populations : nombre d’habitants du Tana Toraja ont migré vers des pays plus ou moins lointains en Indonésie elle-même (Java, Kalimantan, Papouasie, etc..) et à l’étranger (Malaisie, Etats-Unis, Australie, etc..). Par contre, la population batak a toujours vécu refermée sur elle-même (il y a quelques siècles les villages batak n’étaient reliés par aucun pont et les sentiers de liaison étaient cachés pour éviter les incursions étrangères).
L’actuelle richesse du pays Toraja n’est donc pas due aux potentialités du pays (il est difficile de vivre des ressources naturelles du pays), mais à l’argent des “émigrés”. Ce sont eux qui financent les nouvelles constructions et les traditionnelles cérémonies religieuses…
Rien de tout cela en pays batak qui vit toujours sur ses maigres ressources propres. Et aujourd’hui, ses habitants estiment qu’ils n’ont plus les moyens de financer des pratiques culturelles coûteuses. Une fois le financement des besoins primaires assuré (habitat et nourriture), le reste est maintenant consacré à l’éducation des enfants, voire au financement de nouvelles dépenses (portable, téléviseur, etc..). Evidemment au détriment des aspects culturels…
(14) à condition toutefois que le soleil soit de la partie, ce qui n’est pas toujours évident. Il est vrai que le lac de Toba est une région plutôt humide. Le relief en serait la cause. En effet, le lac est entouré de zones montagneuses et l’île de Samosir consiste en une mince bande côtière -et encore pas sur l’intégralité de son pourtour- et d’une zone de montagne en son centre. Mais en principe, les mois d’été correspondent à la “saison sèche”. Or, le mois de juillet 2010 fut particulièrement arrosé, il est vrai pas seulement sur l’ile de Sumatra, mais sur toute l’Asie du sud. Et pourtant, en cet été 2010, le niveau des eaux du lac Toba était d’un à deux mètres inférieur à celui qu’il aurait du être à cette époque de l’année. La faute à une faible pluviométrie pendant la saison des pluies (hiver 2009-2010). Hasard climatique? Déréglement du au réchauffement climatique ou aux phénomènes climatiques maritimes El Nino ou La Nina ? J’ai entendu toutes les hypothèses.. et la sempiternelle conclusion : “ y’a plus de saisons »
(15) voir notamment “la Gazette de Bali”– août 2010 : “ Le Krakatau de 1883 “
(16) une caldeira (de l’espagnol/portugais : chaudron) est une vaste dépression à fond plat située au sommet de certains volcans et entourée d’une falaise circulaire souvent haute de plusieurs centaines de mètres. Une caldeira n’est pas un cratère, mais résulte de l’effondrement de la chambre magmatique d’un volcan le long d’une faille circulaire. Cela signifie que plus la caldeira est importante, plus la chambre magmatique était importante
(17) et pourrait causer des millions, voire davantage, de morts surtout si les cycles végétatifs sont totalement perturbés