lundi 29 octobre 2007

Feuille de route de Jean-Michel: BALI

Seminiak, le 21/09/2007



Bali a bien changé en 25 ans..

Lors de mon premier séjour dans cette île enchanteresse, je logeais près d'une plage, dans un losmen (sorte de hutte) pour 2 ou 3 dollars (1) par nuit. J'accédais à la plage par un chemin sablonneux ombragé par des cocotiers. Aujourd'hui, derrière les cocotiers de la plage se cachent des centaines de "baraques" à fringues ou colifichets divers pour touristes en mal d'exotisme et un centre commercial dédié aux grandes marques de vêtements et de parfum.
La circulation est devenue difficile, parfois pénible. Car maintenant la majorité des îliens possède au moins une moto. Chaque carrefour est ainsi devenu une "galère". En effet, une croyance hindouiste interdit de "marcher" sur la tête des autres. Ce qui empêche à construction de ponts/toboggans, de passerelles ou de souterrains. A chaque croisement, on se trouve donc un méli-mélo de véhicules en tous genres. Heureusement, les Balinais sont moins "agressifs" –sur la route- que les Vietnamiens. Ils respectent les autres conducteurs et, avec un sourire (2), tout s'arrange.

Mais, à côté de ces aspects "modernes", les traditions restent très vivantes.

Les Balinais observent en moyenne 100 jours de fêtes religieuses par an (anniversaires ou fêtes familiaux -naissance, mariage, crémations-, anniversaires des temples, fêtes liées aux mouvements des astres, fêtes des Dieux hindous, etc...) sachant évidemment qu'une fête peut durer trois ou huit jours... suivie de parfois une semaine de travail-... Autant dire que, ici, nos 35 heures (3) font plutôt sourire. Car évidemment, à ces temps de fêtes, s'ajoutent les jours de repos hebdomadaires (2 jours par semaine pour les fonctionnaires et un jour pour les employés du privé)et les fêtes nationales.

Un ami qui a pris sa retraite à Bali m'a dit avoir trois employés de maison (salaire mensuel : 60 euros -et pas de charges). Il a pris à dessein trois personnes de religion différente : un musulman, un chrétien (4) et un hindouiste ... pour être certain d'avoir au moins un employé toujours disponible.
Se déplacer dans l'île permet de croiser régulièrement des cortèges (hier, j'ai croisé un cortège de deux mille personnes allant participer à une fête) et de découvrir, au détour d'une route sinueuse à souhait, entre deux rizières, une cérémonie à laquelle les participants se font une joie d'inviter, avec parfois une plie de fleurs ou de pétales à l'appui, l'étrange de passage (2). La semaine dernière a été incinéré le père du "roi" d'Ubud (5) ... des dizaines de milliers de personnes ont assisté à cet évènement qui a exigé la fermeture de toutes les routes dans un rayon de 10 km. et la "coupure" de toutes les lignes téléphoniques et électriques de la ville pour pouvoir laisser passer le char mortuaire dont la hauteur dépassait 25 mètres.

Evidemment, les Balinais n'économisent guère. Une fois les besoins vitaux (nourriture, logement) assurés (et encore..), tout l'argent disponible va au temple et ses fêtes... ou plutôt à ce que, nous, étrangers, analysons comme une fête, mais qui pour les hindouistes n'est que la manifestation de devoirs à rendre aux Dieux (6).

Car, ici comme dans les autres pays d'Asie, l'important n'est pas la réussite individuelle, mais le salut de "l'âme" transitoirement dans un corps donné et qui continue sa vie au delà de la fin de son actuelle enveloppe charnelle qui d'ailleurs n'est que la continuité d'une précédente (les Hindouistes croient en la réincarnation). L'important n'est donc pas cette vie transitoire, mais la continuité de l'âme à laquelle il faut donner la priorité dans sa vie quotidienne, ce qui impose d'énormes sacrifices -en argent, en temps et en rites sociaux- que les touristes de passage perçoivent rarement, croyant assister à des "fêtes" permanentes.

La seule question que l'on se pose quand on se (re)trouve à Bali est de savoir si cette culture balinaise saura s'adapter à l'uniformisation découlant de la mondialisation. Comment concilier par exemple tous ces jours de "fête" -qu'un ami balinais appelle "prières"- et une activité qui réponde à nos normes dans la seule activité possible à Bali (en dehors de l'agriculture), c'est à dire dans le tourisme. Si un guide balinais doit accompagner un groupe, il doit être en mesure de répondre à la demande, même si c'est un jour ou une semaine de "prières" au temple. Et puis, il faut pouvoir résister à l'attrait des dollars ou des euros quand on en gagne 2 par jour (travaillé) et que la moto ou le lecteur MP3 ou des vêtements à la mode font tant envie. Ne soyons d'ailleurs pas mauvaise langue. Il faut aussi de l'argent pour payer les frais de scolarité -souvent des frères et des sœurs(l'école est payante) ou des frais de santé -souvent pour les parents ou grand-parents- (la sécurité sociale est évidemment inexistante et la famille, ici ,comme dans toute l'Asie, le "cœur" de l'organisation sociale).
Certes, la population est encore très majoritairement rurale et agricole (80 % des habitants). Ce socle rural assure la permanence des traditions pour encore vraisemblablement quelques décennies. Mais si on prend conscience ici que ces traditions sont bien liées à -et en phase avec- un monde rural et agricole, son évolution va nécessairement altérer les traditions.. surtout sous la pression de l'OMC (organisation mondiale du commerce).

Mais quelles que soient les évolutions futures, être à Bali permet toujours de vivre des instants qu'on voudrait éternels. Notamment, en ce qui me concerne, lors des couchers de soleil sur la mer. La température alors est, en cette saison, parfaite : on oublie le chaud ou le froid. Le cadre est idyllique: palmiers et sable doré s'étalent sur des kilomètres(7).

On n'entend que le ressac des puissantes vagues. Le soleil s'abîme progressivement dans les flots. Le spectacle est contraste, à l'image des évolutions que subit l'île : les surfeurs profitent des dernières vagues avant le coucher du soleil alors que sur la plage des dizaines -parfois des centaines- de croyants viennent faire leurs prières au Dieu de la mer (8), agenouillés au milieu d'une prolifération de fleurs, d'encens et d'offrandes. Lorsque le soleil disparaît, ils vont offrir a la mer divers volatiles sacrifiés à cette occasion (9).

Je ressens alors un sentiment d'apesanteur, comme celui éprouve devant un coucher de soleil sur les eaux du Mékong à Luang Prabang...


Jean-Michel


(1) aujourd'hui, il faut ajouter un zéro..

(2) je suis vraiment loin de Paris...

(3) voilà bien un souci de rationaliste occidental : compter les heures, surtout de travail

(4) les musulmans et les chrétiens sont les "immigrés". Ils viennent des autres îles de l'Indonésie (il y a en a 13 000) attirés par la prospérité économique de Bali. Prospérité due a l'essor du tourisme (environ 2 millions de touristes étrangers par an auxquels il faut ajouter les touristes nationaux)

(5) comme pour les maharadjahs de l'Inde, les descendants des anciens "rois" de Bali exercent des fonctions civiles -pour assurer leur gagne-pain-, mais sont toujours très respectes par "leur" peuple

(6) chaque village compte en moyenne 4 temples, chaque maison a son "autel" propre et, chaque jour, tous les Balinais honorent les Dieux en faisant de multiples offrandes -la plus visible est celle qui consiste à parsemer la chaussée devant sa demeure de petits paniers contenant des fleurs et de la nourriture, voire un billet. Cela me rappelle les propos d'un Birman montrant d'un vaste geste la colline avoisinante parsemée de temples : "évidemment, je ne possède pratiquement rien, mais regardez ma fortune..."

(7) il est interdit à Bali de construire au delà de la hauteur d'un palmier.. L'île a ainsi évité ces constructions de tours qui parsèment le littoral thaïlandais ou espagnol

(8) le Dieu de la mer est, selon les croyances hindouistes -un hindouisme bien éloigné de celui de l'Inde- balinaises, doté de pouvoirs maléfiques. Les grands temples sont construits sur les pentes de plus hauts sommets de l'île, lieux ou s'approche des Dieux
(9) poules et canards que des gamins vont rechercher a la nage -pour garnir vraisemblablement la marmite familiale-

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