La 35ème feuille de route écrite par jean-Michel GALLET
Une feuille de route dont je suis l’objet, certes involontaire. J’espère que vous me pardonnerez cette outrecuidance. Mais quand arrivent des miracles, pourquoi ne pas les rapporter ?
• au pied du Bromo en colère
Voilà trois jours que je me trouve dans un village de Java est, Cemoro Lawang, situé à environ 2 000 mètres d’altitude. Il domine de plusieurs centaines de mètres une « mer » de sable et de cendres dénommée Laotian Pasir. Au fond de cette étendue, le regard découvre une série de volcans (1).
Comme les précédentes nuits, je me suis levé à 3 heures du matin pour escalader le Gunung Penanjakan ? Car c’est du haut de ses 2 770 mètres qu’on peut le mieux découvrir et contempler un des plus fascinants spectacles qui puisse exister : un lever de soleil sur l’ensemble volcanique, et notamment sur le Bromo (2 392 mètres).
Vers 3 heures 30 - 4 heures, des jeeps amènent de Cemoro Lawang les spectateurs au pied du Gunung Penanjakan. Là s’opère une sélection naturelle. Car il faut alors emprunter, dans la nuit, un chemin étroit, parsemé de pierres de toutes dimensions et encombré de branches, voire de troncs d’arbres et recouvert d’une épaisse couche de cendres d’origine volcanique qui masque les trous et les bosses du chemin et s’infiltre partout, et d’abord dans les chaussures.
Après avoir escaladé environ 300 mètres de dénivelé, on accède à une terrasse qui surplombe la mer de sable et l’ensemble volcanique sur lequel, entre 5 et 6 heures, se lève le soleil. D’abord apparaissent des teintes violacées à l’est du cirque. Des bleus de plus en plus pastels se succèdent et précèdent les rouges oranges suivis des jaunes. Les rayons du soleil franchissent alors la barre montagneuse orientale et teintent d’un ocre virant de plus en plus au jaune les plus hauts sommets de l’ensemble volcanique, puis descendant progressivement, atteignent la mer de sable.
Le regard est évidemment surtout accroché par le Bromo dont la forme quasi parfaite, au centre du cirque, s’éclaire peu à peu. D’autant qu’en cette année 2011, le spectacle du lever de soleil sur ce volcan est encore plus fascinant que les précédents années.
En 2010, j’avais déjà pu assister à ce merveilleux spectacle naturel. J’avais été tellement séduit par sa magnificence que j’avais décidé de revenir le voir, pendant plusieurs jours, en 2011. Mais, l’année dernière, on ne pouvait admirer que le lever du soleil. Cette année, le spectacle est encore plus prodigieux. Car, depuis six mois environ, le Bromo s’est réveillé. Environ une fois par heure -mais il n’y a rien de régulier dans ses éructions- le fond du cratère fait retentir des bruits sourds, comme des détonations, annonciatrices d’un nuage de cendres grisâtres (2). Celui-ci, partant des entrailles du volcan, s’élève progressivement dans l’azur du ciel sur plusieurs centaines de mètres de hauteur. Il obscurcit d’abord le volcan, puis tout le cirque, recouvrant d’une pellicule de cendres maisons, chemins et gens. Ses particules s’insinuent partout, jusque dans les recoins les plus inatteignables de chaque pièce et vous font apparaitre comme sortant d’une mine (3), la face recouverte d’une pellicule noirâtre.
En règle générale, ce nuage est de teinte grise avec des touches blanches et noires. Mais il arrive que ce nuage vire franchement au jaune, ce qui signifie qu’il est chargé de soufre. Se répand alors dans l’atmosphère l’odeur caractéristique de ce minerai.
La dispersion du nuage demande de 30 à 60 minutes, juste, semble-t-il, le temps pour le Bromo de reconstituer ses “forces” et d’éructer de nouveau.
• comment parcourir les sites de Java est ?
La plupart des visiteurs ne restent que quelques heures à Cemoro Lawang, le temps d’admirer le lever du soleil, voire ensuite d’escalader le Bromo, avant de repartir pour la découverte, le lendemain, toujours à Java est, d’un autre volcan tout aussi fascinant, le Kawa Ijen (4).
Cette année (2011), j’avais opté pour un séjour prolongé de trois jours à Cemoro Lawang afin de pouvoir photographier à ma guise le Bromo en colère. La mise en œuvre de ce choix pose alors des problèmes pratiques de transport. Car, à moins de disposer d’un moyen de déplacement personnel -et les moyens financiers attenants-, il faut avoir recours aux moyens de transport collectifs pour accéder aux différents sites, ce qui complique un peu la donne. En effet, ces moyens sont adaptés au “touriste de base”, celui qui, en quelques jours, veut découvrir les “perles” de Java est -départ de Jogjakarta, visite de Borobodur (5) et de Prambanan(6), découverte des volcans (le Bromo et le Kawa Ijen)- avant de rejoindre Bali, le tout le long d’un axe ouest-est d’environ 500 kilomètres.
Par contre, celui qui veut s’arrêter, ici ou là, se complique la tâche. Il lui faut essayer, à chaque étape, de s’insérer dans un nouveau circuit organisé dès le départ avec un nombre de participants maximum.
J’avais donc, en minibus, quitté Jogjakarta avec un groupe de voyageurs qui, en 3 jours et 2 nuits, devait découvrir le Bromo et le Kawa Ijen avant d’arriver à Bali et l’avais quitté au Bromo. Trois jours plus tard, j’espérais pouvoir m’insérer dans un autre groupe qui se rendrait vers le Kawa Ijen.
Quelques démarches et quelques appels téléphoniques réalisés lors de mon séjour à Cemoro Lawang m’avaient permis de trouver une solution à mon souhait, car début juillet, il arrive que les groupes ne soient pas toujours tous “complets”.
Ce lundi 4 juillet, vers les 9 heures-heure convenue-, j’attendais donc le minibus du groupe qui, du Bromo se dirigeant vers le Kawa Ijen, devait me prendre à son bord.
• Un minibus « d’un autre âge »
Presque une heure plus tard, j’attendais toujours à l’entrée de l’hôtel où j’avais été hébergé. Un appel téléphonique voulut alors me rassurer : “ le minibus est en route..merci de votre patience”. Effectivement, environ une demi-heure plus tard, un véhicule s’arrête devant l’hôtel. Pas besoin d’être un expert automobile pour vite s’apercevoir que ledit minibus n’était pas de la première fraîcheur. La carrosserie était d’une couleur indéfinie et toute bosselée ; les dossiers des sièges s’inclinaient inopinément, se transformant en sièges-couchettes hors la volonté du passager ; les vitres ne fonctionnaient plus depuis un temps indéfini ; un compteur bloqué depuis bien longtemps refusant de faire connaitre, comme une dame son âge, sa réalité kilométrique. Mais quand on voyage, sac au dos, ce sont là des “détails” qui ne peuvent arrêter ce type de voyageur. En réalité, ce sont surtout mes compagnons de voyage qui m’ont intrigué. Non leur qualité, mais leur nombre. Car, logiquement, le minibus aurait du être (quasi) plein, un voyagiste local n’organisant un “tour” que si le nombre de passagers correspond à peu près au nombre de sièges.
Or, dans le minibus “d’un autre âge”, nous étions six personnes au lieu de la douzaine habituelle : sur le siège avant, un chauffeur et un membre de la compagnie de transport ; sur les banquettes arrière quatre voyageurs : une Hollandaise fort placide, un couple de jeunes québécois fort sympathique et moi-même.
Ce ne fut que plus tard, que je découvris l’origine de ce chargement en passagers inhabituel. Le voyagiste qui m’avait assuré pouvoir me transporter du Bromo au Kawa Ijen devait être un familier du surbooking. Le matin, il s’était aperçu que le véhicule qui habituellement transporte les passagers était déjà “plein”. En toute hâte, il avait alors trouvé un véhicule de remplacement -d’où l’état du véhicule et le retard au départ- qui avait embarqué les autres passagers.
Les bagages chargés, le minibus entame la descente des hauteurs du Bromo pour, dans un premier temps, d’abord regagner la côte -soit un dénivelé d’environ 2 000 mètres-, puis de là, après avoir changé de véhicule, rejoindre, dans l’après-midi, les hauteurs du Kawa Ijen, aucune route ne reliant directement les deux volcans.
• « stop…stop… »
Ce voyage avait mal commencé. A mi-descente, en effet, le minibus n’avait pu freiner à temps et était “rentré” dans l’autobus qui nous précédait. Notre véhicule étant pourvu d’un pare-buffles -ce qui témoignait de son utilisation réelle- proéminent, les dommages causés au véhicule qui me transportait furent légers. Par contre, le pare-chocs de l’autobus avait volé en éclats.
Faut-il y voir là la cause ou les prémices de ce qui allait arriver une dizaine de minutes plus tard.. Je ne sais.
Nous sommes à l’entrée d’un village, toujours évidemment en descente. Je suis alors fort surpris par la manoeuvre du chauffeur qui, en plein virage et alors qu’il croisait d’autres véhicules en phase de montée, se met à dépasser une moto, la frôlant au point de l’accrocher et de la faire tomber.. Certes, nous sommes dans des pays ou les dispositions du code de la route sont d’abord un texte plutôt qu’une pratique (7), mais j’ai trouvé la manoeuvre bien dangereuse au point que je me suis retourné pour savoir ce qu’il était advenu dudit motocycliste.
Reprenant ensuite ma vision habituelle, je constate que le membre de la société de transport, assis sur la banquette de devant, faisait des gestes désordonnés s’adressant aux personnes qui se trouvaient à gauche et à droite de la chaussée. Surtout, je prends conscience que la vitesse du véhicule augmente de seconde en seconde et que le chauffeur négocie avec une peine croissante les virages successifs. Pour compléter un sentiment grandissant d’inquiétude, l’habitacle du véhicule commence à se remplir d’une fumée qui fait quasiment disparaitre de ma vue ma voisine hollandaise qui, toutefois, reste d’une totale placidité, alors que les jeunes Québécois, assis à l’arrière, commencent à crier : “stop..stop..”.
Les battements de mon coeur s’accélèrent au fur et à mesure que la vitesse continue à augmenter et ai supposé- après coup- qu’il en a été de même pour tous les passagers.
A quoi pense-t-on dans ces instants -je ne sais combien de temps a duré cette descente aux enfers : deux minutes… trois minutes… -?.
Je ne puis évidemment qu’évoquer mon cas personnel (8). Eh bien, je dois confesser que je n’ai pensé qu’à une seule chose. Pas de pensée à un Dieu ou à des Dieux. Pas de pensée à ceux qu’on connait ou qu’on a connus. Non, toute ma personne était focalisée sur une seule chose : comment arrêter cette course folle.
Je me suis souvenu que la façon la moins “préjudiciable” d’arrêter un véhicule -dont les freins “lâchent”- était de le “frotter” contre une paroi latérale. Or du côté gauche était une forte pente parsemée d’arbres et à droite des talus empierrés. Mais le chauffeur aurait-il le réflexe de “frotter” son véhicule contre ces talus ?
En réalité, il semblait dépassé par la situation, s’accrochant avec la force du désespoir à son volant et essayant de négocier au mieux les virages quand ils se présentaient.
Je crois que s’il avait été seul sur le siège avant, je vous aurais écrit cette feuille de route d’un lit d’hôpital ou de l’enfer -où je devrais logiquement me retrouver dans quelque temps-. En réalité, c’est l’action du membre de la société organisatrice et un quasi miracle qui m’ont évité d’avoir recours à je ne sais quel moyen pour continuer à vous transmettre quelques bafouilles.
En effet, ce représentant de l’entreprise organisatrice du transport, assis sur le siège avant, à côté du chauffeur, lui a fait comprendre qu’il devait rétrograder de toute urgence -ce qui fit faire au véhicule une série de “bonds” successifs et fort impressionnants- alors que lui-même s’arqueboutait sur le frein à main.
Si ces manoeuvres toutefois pouvaient ralentir le véhicule, elles ne pouvaient l’arrêter. Et c’est là qu’intervient le “miracle”. Au sortir d’un virage, alors que la route n’avait cessé de descendre avec des inclinaisons variées depuis notre départ, commence un faux plat. Environ 200 à 300 mètres pendant lesquels la route “remonte” légèrement. Ce qui permit au véhicule de s’arrêter.
J’ai évidemment scruté avec attention la route et surtout son dénivelé lorsque, environ une heure plus tard, nous avons repris la route avec un autre véhicule. Ce faux plat était un des seuls, sinon le seul, de tout le parcours. J’ai surtout noté que, juste après ce faux plat, la déclivité reprenait de plus belle, comme pour compenser cette courte pause dans le processus descendant… (9).
Jean-Michel Gallet
P.J. : diaporama 12 – « Le Bromo en colère »
(1) l’archipel indonésien (environ 17 500 îles) a une double origine géologique. Il est issu de deux plaques terrestres (la plaque euroasiatique de la Sonde -au nord et à l’ouest de l’Indonésie- et la plaque australienne -au sud et à l’ouest du pays-) partiellement submergées suite à l’élévation du niveau de la mer à la fin de la dernière période glaciaire (il y a environ 10 000 ans) pour ne laisser apparaître que certains éléments sous forme d’îles. Ces îles ont ensuite été façonnées par des volcans, car c’est en général à la frontière de deux plaques que les conditions sont réunies pour leur formation.
Les premiers habitants (Homo Sapiens) seraient arrivés, il y a de 60 000 ans à 40 000 ans, par la plaque de la Sonde. On rencontre leurs descendants aujourd’hui principalement en Papouasie
(2) il s’agit en l’espèce d’éruptions de cendres -et non de lave-. Au moment où la lave atteint l’air libre, soit elle s’écoule, soit elle s’accumule, formant un bouchon qui, en se refroidissant, va se fragmenter et sera expulsé, sous la pression des gaz, sous forme de tephras (nom scientifique qui comprend les cendres volcaniques, les scories, les pierres ponces, voire des « bombes -ou pierres-volcaniques ») qui peuvent être projetées à plusieurs dizaines de kilomètres de hauteur dans l’atmosphère. Il arrive que les cendres fassent le tour de la terre. Les plus grosses des « bombes volcaniques » peuvent atteindre la taille d’une maison
(3) je ne sais si les poumons apprécient. Les appareils de photos ou caméras, assurément, aucunement, surtout lorsque, à ce nuage, s’ajoutent de forts vents terrestres qui font tourbillonner cendres et sable jusqu’à empêcher toute visibilité
(4) la renommée de ce volcan -le Kawa Ijen- (2 148 mètres d’altitude) est liée à l’émission de gaz volcaniques qui, au contact des eaux du lac qui occupe le cratère, entraîne la formation de soufre. Celui-ci est alors récupéré et transporté manuellement par des porteurs qui ploient sous des charges de 50 kilos, voire plus
(5) Borobodur, un des sites majeurs d’Asie du sud-est. Ce monumental temple bouddhiste, construit entre 750 et 850 de notre ère, fut redécouvert en 1815, enseveli sous des couches de cendres volcaniques
(6) les temples shivaïstes de Prambanan (au nombre de 240) constituent le plus vaste complexe de la période hindoue à Java. Ils furent édifiés à partir de l’an 800 (estimation) de notre ère
(7) voir notamment la feuille de route 28 : « et si le volcan Toba se réveillait ? »
(8) après cette « péripétie », j’ai pensé à tous ceux qui se sont trouvés dans un avion alors qu’une issue fatale était inévitable. A quoi, eux qui ont pu aussi prendre conscience de l’imminence d’une catastrophe, ont-ils pensé ?
(9) ce n’est toutefois pas la première fois, que lors mes pérégrinations lointaines, je “frôle” l’accident. Ainsi, par exemple, aux Philippines, me trouvant, toute une nuit, dans une frêle barque au milieu de la mer de Chine déchainée. Ainsi au Pakistan, devant traverser l’Indus en furie sur un radeau fait de peaux de chèvre cousues qui perdaient progressivement leur air. Mais, à ces époques, je n’écrivais pas encore de “feuille de route”.
mardi 29 novembre 2011
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