mardi 23 mars 2010

Compte-rendu de la 7ème réunion














Compte-rendu de la réunion des boursiers du vendredi 19 mars 2010

Thème : « Les églises de Paris »
Intervenant : Monsieur Jean-François PERNOT

Sujet hautement intéressant, surtout pour nos étudiants qui viennent de l’Asie et ont rarement une connaissance de l’Eglise. Or ils se trouvent en France, dans un pays catholique, où existe une multitude d’églises, surtout à Paris. Monsieur PERNOT, historien et maître de conférence du Collège de France, a eu la gentillesse de venir nous exposer son travail de recherche personnelle sur les églises.

De l’église mérovingienne à l’église carolingienne, des premières églises aux églises contemporaines, des églises d’Orient aux temples protestants, des églises byzantines aux églises baroques, des églises paroissiales aux églises des congrégations, des cloîtres monastiques aux chapelles des couvents... Monsieur PERNOT a cherché à nous présenter des églises les plus significatives et les plus parlantes. La signification des fresques, des voûtes, des statues, des murs, des toitures, des vitraux a été donnée avec toute la compétence et la manière ludique que possède cet éminent professeur.

Nous avons la chance d’avoir trouvé quelqu’un possédant à ce point une telle connaissance de ce sujet ! Après une telle conférence, les étudiants ne pourront plus rester insensibles aux beautés et aux variétés de ces édifices religieux.

Julie CARCOUET

la 25ème feuille de route de Jean-Michel

Le 15/12/2009
Le 10/03/2010

Feuille de route 25 - Impressions cambodgiennes

Ai-je parcouru vingt ou trente fois le Cambodge…Je ne sais. Par contre, je sais que ce pays fait toujours naître en moi la même interrogation.
En effet, lorsqu’il visite ce pays, il n’est guère d’étranger qui puisse rester insensible à l’irrésistible pouvoir de séduction de ses habitants et que symbolise le sourire khmer…Nombreux sont alors ceux qui veulent tirer ses habitants de la misère, au moins matérielle (1), dans laquelle se débat la grande majorité des Cambodgiens…Le problème est que depuis des décennies des milliers de bonnes volontés étrangères s’y essaient…Pour des résultats qui ne paraissent pas évidents. L’avenir du Cambodge pourra-t-il un jour échapper au mythe de Sisyphe ?

Le procès des Khmers rouges

“Toi qui va souvent au Cambodge, ne pourrais-tu pas écrire quelques lignes sur le procès des Khmers rouges ? (2) ”.. J’ai d’abord répondu à cette question par un haussement des sourcils. Certes, le sujet est d’actualité. Dans quelques mois, le Tribunal spécial en charge de juger des responsables Khmers rouges se prononcera sur le sort de Duch (3). Le procès de quatre autres inculpés (Nun Chea, Ieng Sary, Kieu Samphan et Ieng Thirith ) devrait s’ouvrir dans un an. Mais, je ne voyais pas ce que j’aurais pu ajouter à ce qui a déjà été écrit ou dit dans les médias occidentaux. Et je ne me voyais pas davantage reprendre des considérations générales sur cette période (1975-1979) de « gouvernement Khmer rouge » -dit du « Kampuchea démocratique »- qui, certes, peut faire douter de la rationalité ou de la spiritualité humaines ou, tout simplement, d’une évolution vers un mieux (4).

Cette question est toutefois restée dans mon esprit. Et chemin, piste ou route faisant, à pied ou en moto, je me suis interrogé sur ce que les Cambodgiens pensaient de ce procès. Un fait m’a alors frappé : ce procès mobilise, du moins au niveau des médias, davantage dans nos pays occidentaux que dans le pays concerné. Quand on est au Cambodge, force est de reconnaître qu’il ne suscite guère de commentaires ou de débats, surtout publics (5).
Or, la nation khmère est une réalité. On aurait pu alors penser que ce procès aurait pu être l’occasion d’un débat pour réaffirmer des valeurs communes et pour réfléchir aux bases d’un meilleur avenir. » Voilà bien un raisonnement d’occidental » a alors répondu à mon interrogation le Père Ponchaud (6 ) « de toute façon, un Khmer ne peut comprendre que les délibérations d’un tribunal puissent durer plus de deux jours … »

J’ai alors cherché des explications rationnelles à ce silence.

Il y a d’abord le temps qui s’est écoulé depuis la survenue des événements qui valent à certains responsables Khmers rouges de relever d’un Tribunal. ..Voilà 31 ans maintenant -en 1979- que la prise de Phnom Penh par les forces vietnamiennes a mis fin au contrôle de la capitale par les Khmers rouges. Et pour les jeunes (50 % de la population a moins de 15 ans), « tout cela, c’est du passé… »
Il est aussi vrai que pour la grande majorité de la population, les soucis du quotidien -trouver de quoi vivre chaque jour- l’emportent de beaucoup sur les joutes de prétoire.
S’y ajoute le fait que nombre de responsables -de ce qu’on appelle parfois un «génocide »- sont absents du prétoire.
Absents de nombreux Etats de cette même communauté internationale qui a voulu organiser ce procès (7). En premier lieu, les Etats-Unis (8). La Chine également, mais, elle, s’est toujours logiquement opposée à sa tenue (9)...
Absents, la grande majorité des actuels responsables politiques du Cambodge, à commencer par le Premier ministre actuel, alors qu’ils ont été des dirigeants Khmers rouges (10).

Faut-il en chercher la raison dans le fait que nombreux furent les Cambodgiens qui ont éprouvé une certaine sympathie pour les Khmers rouges -alliés au roi Norodom Sihanouk (11) - à l’époque antérieure à leur arrivée au pouvoir en 1975 (12).
Et quel paysan, alors chassé de ses terres par les bombardements aveugles, meurtriers et inutiles des Américains notamment sur tout l’est du pays entre février et août 1973 n’a pas alors prêté une oreille attentive aux slogans des Khmers rouges.

Mais toutes ces raisons objectives ne peuvent expliquer, au vu de la gravité et l’importance des crimes commis, le silence des autochtones, surtout s’ils ont perdu une partie de leur famille entre 1975 et 1979, ce qui est le cas pour la quasi-totalité d’entre eux. Il y a donc des raisons spécifiques, peut-être illogiques aux yeux d’un occidental, pour expliquer cette attitude.

J’ai alors demandé aux Cambodgiens les raisons de leurs réactions circonspectes. Une réponse m’a quasi systématiquement été avancée : « ce procès, c’est voulu par la communauté internationale, pas le nôtre… »

Quel est le sens de cette réponse ?

Il y a certes, ce que chacun peut comprendre, la gêne éprouvée par des nationaux à l’égard de crimes horribles commis envers des compatriotes.

Cette raison n’est toutefois pas suffisante pour jeter le manteau de Noé sur les crimes commis.

Car, pour ceux des Cambodgiens qui ont vécu la période Khmer rouge et qui sont encore en vie, le responsable des crimes commis, souvent á l’égard de proches, ce ne sont pas ceux qui sont inculpés devant un Tribunal à Phnom Penh, mais un responsable Khmer rouge local, qui a été bien souvent un voisin ou même un parent…Il a refait sa vie souvent sur place. On pourrait s’attendre à ce que le procès de dirigeants Khmers rouges soit une opportunité pour rappeler à ceux qui furent des bourreaux leurs responsabilités... Il n’en est rien. Nombreux sont les Cambodgiens qui m’ont avoué : « ce procès ressuscite de douloureux souvenirs qu’on voudrait oublier. » (13)

Pourquoi la paix sociale ne semble pouvoir passer que par l’oubli et le silence, et non par le jugement ?

C’est que nous sommes dans un pays de culture bouddhiste -du Petit Véhicule- et que celle-ci régente ici les relations sociales. Bouddhisme qui -héritage de l’hindouisme- repose, entre autres, sur la croyance que chaque individu possède un « karma » (14) qui est l’addition des « karmas » des êtres dont nous sommes la réincarnation. Si nous sommes dépendants de notre karma, pourquoi alors juger des gens qui, de toute façon, seront punis, par une réincarnation en un statut inférieur.
A contrario, si quelqu’un est puissant, c’est qu’il a un bon karma, résultat des vies antérieures de son « âme ». Il est donc malvenu de le critiquer (15).
En corollaire à cette croyance dans le karma, le but de chacun est d’échapper, par une vie vertueuse, au cycle infernal des réincarnations. Ce qui est alors important, dans les relations sociales, ce n’est pas la recherche de la Vérité -puisque le monde n’est que souffrances-, mais la recherche de l’harmonie sociale. En conséquence, il faut éviter tout conflit, surtout s’il s’exprime publiquement… On ne pose une question que si on est certain d’avoir une réponse favorable à ses souhaits… On acquiesce aux propos de son interlocuteur, même si on est en désaccord avec lui pour ne pas faire perdre la face à l’un des deux… On accepte avec fatalisme les différents coups du sort… Et puisque le jugement d’un tiers ne peut régler un conflit, on se fait justice soi-même. La violence fait partie du quotidien des Khmers. (16). Le tout sous le couvert du sourire khmer.
Et c’est ce qui explique pourquoi, à mon avis, pour les Cambodgiens : « ce procès n’est pas le nôtre, mais celui de la communauté internationale… »

On pourrait soutenir, qu’après tout, c’est la culture du pays et que chaque peuple ou nation a le droit de vivre sa culture. Le problème est toutefois que cette culture, d’essence agricole et rurale, entraîne, notamment, à l’ère de la mondialisation et l’urbanisation croissante, des effets pervers comme le démontrent les conditions de circulation.

· le nouveau code de la route ...

Là aussi, des mesures prises, pour aller dans le bon sens, se heurtent aux réalités des comportements des membres de la société cambodgienne.
La circulation dans les grandes villes, et surtout dans la capitale, devient chaque jour de plus en plus chaotique et pénible. D’abord par ce que le nombre de personnes venues chercher un gagne-pain croît chaque jour (17). Le caractère indiscipliné des Cambodgiens par rapport à la circulation fait le reste.
Devant l’accroissement des victimes de la route (18), des ONG (31) ont fait pression sur les autorités pour que soient prises des mesures visant à freiner la progression du nombre des victimes (par exemple en exigeant le port du casque pour les motocyclistes), ce qui peut apparaître comme allant dans le bon sens.
Sauf que le nouveau code de la route (19) comprend des mesures qui, prises dans un contexte de corruption généralisée, ne font qu’aggraver cette même corruption.
Quelques exemples (20) : depuis quelques mois, dans la capitale (21), 400 agents affectés à la mise en œuvre des nouvelles dispositions du code de la route verbalisent. Aux carrefours les plus passagers, se sont installés -à l’ombre-, des équipes de 4 à 20 policiers… Sur une table, essayant de résister aux coups de vent, des photocopies des nouvelles dispositions comme preuve à l’égard des incrédules (22).. souvent au guidon d’une des motos de police, un petit sac de plastique sert de réceptacle aux amendes dont le produit sera partagé (23) entre les policiers en poste. Car le produit des amendes est destiné à arrondir les fins de mois des policiers.
Ceux-ci, toutefois, prennent des garanties. Ainsi, le montant de l’amende minimale -par exemple pour défaut de port de casque- est de 5.000 riels (0,83 euro) (24). Pour toutefois éviter tout recours (est-ce cela la nouveauté par rapport à l’ancien code de la route ?) et justifier la non remise d’un procès-verbal, les policiers ne demandent que 4.000 riels (0,66 euro) au contrevenant. Il s’agit alors d’un « don » (25) et non plus d’une amende.
Les véhicules imposants (4 x 4 dernier modèle ou Ferrari) bénéficient toujours d’une immunité ainsi que les véhicules ministériels ou conduits par des militaires (26).
Tout le monde est complice… La hiérarchie policière sait parfaitement que les membres de son administration arrondissent leurs fins de mois (27) à l’aide de la perception de ce qui devrait aller au Trésor public. Les policiers invoquent la faiblesse de leur solde (75 dollars US par mois : 55 euros) pour justifier ces pratiques. Chaque motocycliste ou conducteur de camion (les deux principales cibles des policiers) sait parfaitement où va l’argent qu’il a dû verser.
Il en résulte le sentiment que la police peut être achetée, et que les nouvelles mesures sécuritaires prises -même si elles partent d’une intention louable- n’ont pour finalité que d’enrichir les policiers et que les puissants bénéficient toujours d’une immunité totale (28).
Et dans ce contexte, quelle peut être la crédibilité des autorités et du pouvoir politique? Chacun essaie alors, si possible, de tirer son épingle personnelle du jeu, ce qui rend très difficile, voire impossible la réalisation de vrais projets collectifs.

Sera-t-il possible un jour, de sortir de ce cercle vicieux ?

« Le Cambodgien voit l’arbre, pas la forêt » (29)

Le 4 x 4 tangue sur la piste glaiseuse car, étonnamment, depuis 3 jours, en pleine saison séche, la pluie n’a cessé de tomber, ce qui ne se serait jamais vu, de mémoire de Cambodgien. Normalement, en ce mois de janvier, le véhicule devrait être couvert d’une poussière jaune latéritique (30) qui s’infiltre partout, y compris dans l’habitacle du véhicule. Ce phénomène météorologique, en tout cas, permet des discussions « sur le temps qui n’est plus ce qu’il était » et les commentaires habituels et interrogations sur les raisons de ces dérèglements des cieux.
Dans la cabine, s’entassent sept personnes -une norme habituelle au Cambodge-. Au volant, le Père Ponchaud qui, malgré ses 70 ans qui ne semblent pas avoir de prise sur lui, crabote, louvoie, estime les dénivellations bien pentues et redresse le véhicule lorsqu’il tend à déraper. Nous accompagnent les responsables d’une ONG (31) de la région toulousaine (32) qui finance des projets de développement dans la province de Preah Vihear (33) où nous nous rendons. Nous accompagnent également la responsable cambodgienne sur place des projets, son mari et son fils adoptif.
Sur le plateau arrière du pick-up, s’entassent, sur une hauteur d’environ 3 métres, plus d’une tonne de nourriture (poisson séché et en boîtes, riz, sucre, huile), des paquets de lessives, du matériel scolaire et médical, des matelas, ainsi que nos bagages.
À la nuit tombée et une centaine de kilomètres plus loin, nous arrivons à destination : Kulen, une petite bourgade située à peu près au centre de la province de Preah Vihear. C’est ici que le Père, maintenant à la retraite ecclésiastique, mène des projets de développement (34). Jusqu’en 1998, ce fût une région gérée par les Khmers rouges (35). Il s’y était rendu, il y a une dizaine d’années, pour y accompagner sa principale adjointe originaire de cette localité et qui voulait revoir sa famille. À l’époque, on ne pouvait s’y rendre qu’en saison sèche (de novembre à mars avril). La piste n’était alors souvent qu’un étroit chemin, ce qui obligeait à une conduite en déséquilibre permanent, et surtout cette région était totalement isolée. « Il m’était impossible de ne pas faire quelque chose » me confie le Père « lorsque j’ai découvert que, pendant les semaines qui avaient précédé ma venue, sept personnes étaient mortes de la malaria. »
Dans cette bourgade, alors abandonnée de tous, le Père a mis en œuvre un programme qu’il avait commencé à expérimenter dans une autre province du centre-est du Cambodge, à Kampong Cham :
- Participation à la réalisation de pistes et de travaux hydrauliques qui ont profondément amélioré la vie des habitants de la région (36).
- Construction de bâtiments scolaires (37) : pour le collège, pour l’école élémentaire, puis pour des maternelles -une innovation ! - et professionnels (construction d’un bâtiment pour y apprendre les travaux ménagers).
- Construction de bibliothèques et de salles de réunion.
- Mise en place de conseils agronomiques, même si le Père admet volontiers que cette action ne peut avoir de réel impact sauf si elle bénéfice d’un suivi quasi permanent, ce que les moyens du projet ne permettent pas vraiment (38).
- Lancement d’une action purement humanitaire envers 180 «orphelins » de père, de mère ou, pour une trentaine d’enfants, des deux parents, sous forme d’aide alimentaire et d’appui financier (39).
- Amélioration de l’état sanitaire de la population par la construction d’un bâtiment sanitaire destiné aux tuberculeux dans l’enceinte de « l’hôpital « de Kulen (40).
Le Père veut également développer la formation professionnelle des jeunes de la localité. Depuis quelques mois, il finance ainsi l’apprentissage de quatre jeunes chez un réparateur de motos, la construction prévue d’une route devant apporter un afflux de trafic.

Pendant la durée de son passage à Kulen, le Père a fait preuve d’une inlassable activité : réorganisation de l’atelier de couture, fermeture d’une classe de maternelle et ouverture d’une classe d’école élémentaire -avec le transport de matériel d’un lieu à l’autre-, transfert d’une bibliothèque, affectation de trois salles à des écoles élémentaires, visite des projets et des travaux de terrain (ponts, pistes), lancement d’une nouvelle action de formation (identifier avec les enseignants 3 à 4 jeunes pour les envoyer en formation technique artisanale pour un ou deux ans dans un centre spécialisé). Nous avons également discuté de la possibilité de l’installation -avec une aide d’un organisme onusien- de panneaux solaires.
Ah, j’allais oublier, nous nous sommes également rendu dans l’agglomération voisine, à Sreyong -orthographe non garantie- distante d’une vingtaine de kilomètres. L’attention du Père avait été attirée par la permanente de Kulen sur la situation de l’hôpital local : une pièce de 15 m2 environ dans laquelle s’entassent tous les malades de la localité. On y fait les accouchements sous les yeux des accidentés de la route et des tuberculeux. Quant au médecin, il doit venir de Kulen, en moto, quand il a le temps. Son assistante insiste pour que soit décidée la construction d’un bâtiment supplémentaire pour isoler au moins les tuberculeux. Le Père donne son accord sous réserve de vérification auprès des autorités de l’absence de tout projet de construction d’un second bâtiment hospitalier par les autorités publiques.

Ces dix ans de travail ont incontestablement amélioré la situation matérielle des autochtones. Mais, au plus profond, les choses ont-elles vraiment changé ?

Quelques « perles », récoltés en une seule journée, témoignent que la « culture » cambodgienne est toujours la clef qui organise la vie en société.

Ainsi, visitant les écoles, nous découvrons que les portes des toilettes sont fermées. A notre demande d’explication, il fût répondu avec un grand sourire à la recherche d’une approbation : « pour ne pas les user. »

Plus loin, nous découvrons que l’eau n’arrivait plus aux bâtiments scolaires :
- « Pourquoi ?
- « Parce que la pompe est cassée depuis un mois.»
- « Pourquoi ne pas nous l’avoir signalé ? -la réparation devrait couter environ 70 dollars (51 euros) -.
Comme réponse, tous les visages de nos interlocuteurs s’illuminent d’un sourire à faire fondre le cœur de pierre le plus endurci… la vraie raison : comment prendre une initiative qui pourrait susciter le courroux -ou simplement une demande d’explication- du « chef ».
Nous avons aussi découvert que des élèves etaient sans table de travail. Là encore, notre esprit occidental inquisiteur s’est mis en marche. « Mais pourquoi ? » Lors de son dernier passage, le Père avait en effet laissé à la responsable un petit pécule pour pouvoir faire face à l’achat de matériel scolaire, sachant que deux mois plus tard, les bailleurs de fonds (40) devaient passer pour vérifier la réalité du bon usage des fonds. Tout cela avait été clairement expliqué à la responsable, mais, force nous fût de constater l’absence de tables pour les élèves :
- « Pourquoi ? «
- « Parce que l’artisan demandait trop cher. »
- « Pourquoi ne pas nous avoir signalé cette situation, ce qui aurait permis de trouver une solution. »
Toujours le sourire comme seule réponse et, encore une fois, la crainte de la réaction du « chef » ou de son jugement négatif, ce qui explique qu’à chaque fois, le silence et l’inaction sont privilégiés. (42)

Nous visitons ensuite le lieu où le Père a lancé sa première école. Non sans fierté, il veut nous faire découvrir « le jardin scolaire ». Il s’agit d’apprendre aux élèves -de classes élémentaires- à cultiver des légumes et à sortir de la monoculture du riz…. Quelle ne fût pas alors notre surprise de découvrir que l’essentiel du jardin à destination potagère était consacré à la production de tabac :
- « C’est pour leurs parents ? » demandons-nous de façon ingénue.
- « Non, c’est pour les élèves. Car le tabac est un bon anesthésiant pour les maux de dents des enfants. »

Nous terminons notre visite à Kulen par la visite de l’hôpital, deux petits bâtiments dont celui récemment construit par le Père, perdus dans un espace vaguement clos. À l’entrée, et jouxtant le bâtiment le plus ancien, notre regard est attiré par la présence de deux mares, un des legs des Khmers rouges dans la région, deux merveilleux endroits pour la prolifération des moustiques et de la malaria. «Voilà plusieurs années que je leur demande de combler ces deux mares « tonne le Père » mais, toujours en vain, car elles abritent des esprits ».

Les traditions, les habitudes, une déférence totale et inconditionnelle envers ses supérieurs, tous ces éléments concourent à une paralysie de l’initiative, surtout collective, dont abuse de facon éhontée la nomenklatura au pouvoir politique et économique.
Ce n’est pas la paresse -tous les témoignages de ceux qui travaillent au Cambodge sont unanimes sur ce point : le Khmer est courageux et veut bien faire-, mais des blocages culturels qui paralysent les nécessaires évolutions pour parvenir à un mieux-être de ses habitants, mais aussi, pour maintenir la « souveraineté » du pays (43)… Ici, on ne critique pas les « chefs » et l’on ne remet pas en cause leur pouvoir (44)… Ici, l’initiative semble hors de portée du commun des mortels (45)… Ici, il semble impossible de coordonner plusieurs projets en même temps dans une vision d’ensemble ou de mettre en œuvre sur le long terme une initiative…

La tentation est alors forte chez quelques responsables d’ONG de penser que la culture et les traditions sont le frein à toute évolution. J’ai même entendu certains d’entre eux affirmer qu’il fallait « déculturer » les Khmers pour « sauver » le pays (46).

Ce serait ajouter un crime á l’échec garanti (47).

Pour l’étranger baroudeur à l’esprit pionnier, un tel contexte est certes propice à la mise en œuvre de ses projets personnels.

Mais pour celui qui veut y bâtir des projets à long terme au réel bénéfice de la population locale, la route s’apparente parfois à un chemin de croix.

Et pourtant, sauf à croire que le destin de ce pays est celui d’une disparition progressive -que la présence « colonisatrice » française avait provisoirement « gelé »- (48), il n’y a guère d’autre solution que d’y mettre en œuvre, dans le respect de la culture du pays, des actions concrètes dont l’objet premier, voire unique, est de faire prendre conscience à ses acteurs et d’abord à sa paysannerie qu’ils peuvent, par eux-memes, changer des choses « pour enfin voir la forêt derrière l’arbre »…

Jean-Michel GALLET


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BONNE ANNEE du TIGRE – de bois - (49)

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(1) D’autant que la “crise” économique et financière mondiale n’a évidemment pas épargné le Cambodge, et tout d’abord ses principales activités (hors agriculture). On considère qu’un quart des employés de l’industrie textile (de 7.500 à 100.000 pour 358.000 salariés) a perdu son emploi depuis un an. Le bâtiment a été frappé de plein fouet : environ un tiers des chantiers n’auraient pas été terminés. Le tourisme aurait connu une stagnation en 2009. Quant aux visiteurs sachant qu’ils viennent de pays “riches” - surtout du Japon et de Corée - ont été remplacés par des touristes au pouvoir d’achat moindre, venant notamment du Vietnam. Conséquence : pour 2009, le PIB (produit intérieur brut) du pays connaitrait une stagnation, voire une baisse.
Certes, l’année 2009 fut « correcte » pour les activités agricoles, la récolte de riz de la saison des pluies - été/automne 2009- ayant été supérieure de 1,18% à celle de l’année précédente. Et comme 80% de la population active est considérée comme vivant de l’agriculture et de la pêche, certains jugent l’année -économique- comme pas trop catastrophique. Mais c’est oublier que l’économie cambodgienne globale est d’abord familiale. Cela signifie que les familles d’agriculteurs pécheurs (la majorité de la population est rassemblée le long des fleuves sur des exploitations qui ont, en moyenne, une superficie de 0,75 hectare non irrigué à 90 % -donc ne permettant qu’une récolte de riz par an) trouvent un indispensable complément de ressources dans l’emploi d’un père d’une sœur ou d’un mari comme salarié (e) dans le bâtiment, le textile ou comme conducteur de mototaxi en ville. La crise économique touche donc aussi l’agriculture en ce sens que la baisse des ressources familiales ne va pas, bien souvent, permettre des achats nécessaires (engrais, semences, matériel, etc..) pour mener au mieux l’activité agricole de l’année 2010
(2) Entraîné dans la tourmente des guerres de décolonisation, le Cambodge a vécu des années troublées, surtout après 1970. L’an 1970 peut être considéré comme une année-charnière dans l’histoire récente du Cambodge.
Explications :
Au début de l’année 1970, le roi Norodom Sihanouk, en cure en France, avait demandé à son Premier ministre, Lon Nol, de fomenter quelques émeutes anti-vietnamiennes. Le roi, qui certes ne doutait pas de la victoire des Vietnamiens sur les Américains, avait toutefois, toujours joué un jeu de balance entre les deux puissances et en ce début de l’année 1970, il ne voulait pas voir son pays envahi par le Vietminh et les forces du GPR alors que les négociations s’entamaient entre les deux puissances belligérantes (Etats-Unis et Vietnam), négociations qui ont préfiguré le retrait américain du sud Vietnam suite aux accords de Saint-Cloud. Pour éviter que les Vietnamiens ne prennent des gages dans ces négociations en envahissant le Cambodge, Norodom voulait par quelques manifestations signifier au gouvernement nord-vietnamien que les soldats de son pays n’étaient plus les bienvenus au Cambodge. Malheureusement, le Général Lon Nol organisa, début mars, des brutales émeutes anti-vietnamiennes qui ne pouvaient qu’entraîner l’ire d’Hanoi. Le roi annonça alors « que des têtes allaient tomber » (ce qui n’était pas qu’une image si l’on s’en réfère aux mœurs politiques qui prévalaient alors dans le royaume du Cambodge). Lon Nol prit peur et organisa -avec ou sans la complicité des Etats-Unis- un « coup d’Etat » légal, c’est-à-dire la destitution du roi, alors en voyage diplomatique à Moscou. Le roi aurait pu retourner à Phnom Penh -ce que lui aurait conseillé Brejnev-, mais décida de poursuivre son périple vers Pékin. Ce qui était initialement prévu. La, Chou en Lai sut le circonvenir pour qu’il ne rentre pas dans la capitale de son pays -où il aurait vraisemblablement été accueilli en libérateur-, mais plutôt qu’il rejoigne les mouvements insurrectionnels. Sihanouk s’installe alors à Beijing où il forme un gouvernement en exil avec un mouvement révolutionnaire cambodgien qu’il avait lui-même surnommé « Khmers rouges ».
L’année de l’effondrement des trois régimes indochinois soutenus par les Etats-Unis (1975), les Khmers rouges se sont emparés de Phnom Penh, le 17 avril 1975. S’ensuivit une des périodes les plus sanglantes de ce pays (du 17/04/1975 au 07/01/1979) qui vit la déportation de toutes les populations urbaines vers les campagnes et la disparition d’environ 2 millions de Cambodgiens -sur une population alors estimée á 6 millions- et l’exode de nombreux autres.
En 2004, intervenait, après de longues négociations, un accord entre le gouvernement cambodgien et l’ONU pour instituer un tribunal « chargé de juger les principaux dirigeants Khmers rouges ». Le 3 juillet 2006, 30 juges (17 Cambodgiens et 13 internationaux) ont prêté serment pour commencer à instruire le procès…. Les travaux du tribunal devraient se poursuivre jusqu’en 2015
(3) Duch fut un des principaux exécutants des basses œuvres des dirigeants Khmers rouges - mais pas le seul puisqu’il y avait 185 prisons au Cambodge à l’époque des Khmers rouges - . Il fut Directeur de Tuol Sleng, (aussi appelé camp S-21), un ancien lycée transformé en lieu de torture où périrent 12.300 personnes dont une partie de la propre main de Duch. Il fut retrouvé en 1999 à Battambang (ville du nord du pays) où il officiait en tant que Pasteur.
(4) Nombreux sont ceux qui sont tentés de comparer les crimes abominables commis par les Khmers rouges à ceux, notamment, perpétrés pendant la période nazie ou dans les goulags. Il faut toutefois reconnaître que les crimes accomplis au Cambodge ont atteint, à l’égard de ceux qui étaient accusés de déviationnisme, un degré de barbarie difficilement imaginable : enfants projetés en l’air sur des baïonnettes devant leurs parents, autopsies pratiquées sur des personnes vivantes, condamnés à l’étouffement par sac plastique, tortures aux aiguilles, obligation de manger des excréments, etc. Quant au reste de la population entraînée dans un asservissement total, il faut rappeler que cette volonté d’anéantissement s’exerçait á l’égard des propres concitoyens des Khmers rouges.
(5) Selon un sondage paru dans « Cambodge-soir » -numéro 119 : « le Cambodge va dans la bonne direction », 43% des Cambodgiens ignorent la tenue du procès de Duch… (sondage publié le 02/02/2010 et réalisé par l’ IRI -Institute International Republican-, institut de sondage financé par les Etats-Unis
(6) Auteur du best-seller « Cambodge, année zéro », ouvrage qui, le premier, dès 1976/1977, dénonçait ce qui se passait au Cambodge.
(7) Le Tribunal en charge de juger les Khmers rouges n’a compétence que pour se prononcer sur la culpabilité d’individus, pas d’Etats.
(8) La responsabilité des Etats-Unis est effectivement engagée dans ce qui s’est passé au Cambodge. Par leurs actes, ils ont favorisé le développement des Khmers rouges, d’abord en soutenant Lon Nol et son équipe qui avait destitué le roi Norodom Sihanouk en 1970. Mais surtout, ce sont les bombardements massifs américains entre février et août 1973 -ils auraient fait 100.000 morts dans les campagnes alors qu’ils étaient militairement injustifiés- qui ont jeté une bonne partie de la population rurale dans les bras des Khmers rouges et attisé la haine de la ville.
Le Père Ponchaud, spécialiste du Cambodge, se rendant au sud Vietnam en 1974 en avait tiré de son passage dans ce dernier pays une impression de « vie paisible » -Saigon est tombée le 30 avril 1975 !!!- alors que l’Est du Cambodge n’était plus que trous de bombes. Plus tard, il avait répondu à Amnesty International qui voulait son témoignage sur les « crimes » commis par les Khmers rouges : « d’accord, mais à condition que Nixon et Kissinger soient aussi inculpés ». Et que dire de la Chine, qui avait alimenté en armes de tout genre les Khmers rouges et envoyé des dizaines de milliers d’experts les soutenir, alors la communauté sino khmère, essentiellement urbaine, était physiquement éliminée. Les Khmers rouges ont d’abord été armés par l’URSS et par le Vietnam. Quant à l’ONU, elle a reconnu les Khmers rouges comme seule autorité légitime du pays jusqu’aux élections de 1993.
Pour le Père Ponchaud, la responsabilité de la communauté internationale est d’autant plus engagée qu’elle savait ce qui se passait au Cambodge pendant la période Khmère rouge. La preuve en est qu’il a commencé à écrire son livre « Cambodge, année zéro » le 24 juillet 1976 à partir de témoignages recueillis dans les camps de réfugiés cambodgiens en Thaïlande et qu’il fut terminé en trois mois (le livre a été publié en France le 3 février 1977, soit près de deux ans avant la prise de Phnom Penh par les armées vietnamiennes) : « On savait ce qui se passait.. comment juger aujourd’hui au nom des Droits de l’Homme » m’a-t-il confié.
(9) Même s’il peut être soutenu que le rôle d’un tribunal n’est pas de faire œuvre d’histoire, voire même de vérité, il est toutefois évident que ce procès ne fait que renforcer le sentiment négatif des Cambodgiens à l’égard de la communauté internationale qui dépense pour sa tenue des sommes importantes (plusieurs centaines de millions de dollars) que beaucoup souhaiteraient plutôt consacrer à l’amélioration du sort des vivants.
(10) Ils ont certes usé de toutes les manœuvres dilatoires possibles pour retarder, voire empêcher la tenue de ce procès. Ils ont dû céder finalement à la pression des bailleurs de fonds internationaux pour accepter que certains responsables Khmers rouges soient extraits de leur paisible retraite et jugés. Mais les autres, à commencer par l’actuel et l’inamovible Premier ministre, Hun Sen (*) ne sont pas dans le box des accusés.
(*) Hun Sen, né en 1952, fut un des plus jeunes Premiers ministres du monde, puisque nommé à ce poste le 14/01/1985, à l’age de 33 ans. En 1970, il avait rejoint les mouvements insurrectionnels, fût commandant dans les rangs des Khmers rouges de 1975 à 1977, année au cours de laquelle il se réfugie au Vietnam pour échapper à une “purge” décidée par l’état-major. En 1978, il fût un des membres fondateurs du « Front Uni du peuple Khmer pour le salut national » et devint ministre des Affaires Etrangères en 1979 après le retrait des Khmers Rouges de Phnom Penh.
En matière de longévité politique, il figure au 11e rang parmi les différents chefs d’Etat (au premier rang figure le Sultan du Brunei, Hassanal Bolkiak, en poste depuis 1967 et au deuxième rang, le Colonel Kadhafi qui dirige la Lybie depuis 1969).
(11) « Mais comment allons-nous pouvoir cultiver notre riz? » Tels furent, selon le Père Ponchaud, les propos tenus par les paysans cambodgiens lorsqu’ils apprirent, le 18 mars 1970, que le Roi Norodom Sihanouk venait d’être destitué par l’Assemblée nationale. C’est que le roi est le propriétaire du sol. Il est surtout le « maître des Eaux ». C’est lui qui apporte la pluie des moussons lors d’une cérémonie reprise depuis par le roi actuel, Sihamoni. Début mai, le roi trace le « sillon sacré » -en principe devant le musée national de Phnom Penh- pour lancer la « fête des semailles » (Chroat Prea Nongkal) avec l’arrivée des premières pluies…Il déverse quelques semences de riz dans le sillon tracé, des Sages viennent alors analyser ce que les bœufs de l’attelage royal ont mangé pour se prononcer sur la récolte à venir.
C’est dire que le paysan, certes en 1970, ne concevait pas son activité sans l’intervention quasi divine du roi. Cette mentalité n’a pas disparu aujourd’hui, surtout à la campagne. Mais si ce pouvoir, quasi divinisé, existait encore, il pourrait, aujourd’hui, faire évoluer, comme en Thaïlande, le pays vers un mieux dans le respect des traditions.
(12) Il est patent que le mouvement Khmer rouge a été en grande partie favorisé par la destitution du roi Norodom Sihanouk en mars 1970, qui jusque-là a réussi à maintenir, globalement, son pays à l’écart de la guerre de « libération » vietnamienne… Le roi avait été destitué par une assemblée nationale inspirée par le Général Lon Nol, soutenu par les Etats-Unis. Privée de son roi, la majorité paysanne s’est senti orpheline et a accueilli plutôt favorablement les slogans des Khmers rouges qui ont progressivement occupé les campagnes, puis le reste du pays entre 1970 et 1975
(13) Lors de mon séjour cambodgien, j’ai rencontré une ancienne Khmère rouge dont l’histoire mérite d’être contée, car elle illustre bien la position de nombreux Cambodgiens sur le procès des Khmers rouges et les réalités de la société cambodgienne où le sourire n’est souvent que de façade.
Mi Lot avait une quinzaine d’années quand les Khmers rouges, vers 1970, ont commencé à occuper la région de Preah Vihear. Dans sa mémoire, elle garde encore en souvenir les propos de Khieu Sampan -un des inculpés du procès des Khmers rouges- essayant de convaincre les paysans de le rejoindre pour « se débarrasser des Américains ». Après la victoire des Khmers rouges, en 1975, elle est envoyée en Chine « pour y apprendre le métier d’infirmière. » Elle en revient deux ans plus tard et est affectée au ministère de la Santé à Phnom Penh. Sa mission : recevoir les délégations étrangères, essentiellement chinoises : « lorsqu’une délégation était annoncée, nous devions revêtir un costume traditionnel et faire une haie d’honneur en agitant un petit drapeau. » Après le retrait des Khmers rouges de Phnom Penh, en 1979, elle rentre dans son village, toujours tenu par les Khmers rouges et y épouse un colonel de leur armée qui, en 1996, après la reddition de Ieng Sari (voir infra – point 35), se retrouve, avec le même grade, à Pailin -dans le nord-ouest du pays- intégré dans la nouvelle armée cambodgienne. Mais son époux révèle chaque jour davantage son caractère de tyran et de mari infidèle et surtout violent. Par personnes interposées, elle parvient à entrer en contact, à la fin des années 1990, avec le Père Ponchaud qui cherchait une infirmière pour des programmes de soins au sud de la capitale. Aujourd’hui, elle s’est réinstallée dans son pays d’origine (Kulen) où elle supervise les programmes du Père et a racheté avec son nouveau mari une exploitation agricole grâce à l’appui financier de la femme de l’actuel Gouverneur de Pailin. Elle avait fait connaissance avec le Gouverneur et son épouse -lui aussi un ancien Khmer rouge- lorsque son premier mari avait été affecté à Pailin, en 1996.
(14) Selon le bouddhisme du Petit Véhicule, religion largement dominante au Cambodge, chaque individu possède un Karma -terme que nous traduisons habituellement par « âme »-, qui est l’addition des bonnes et mauvaises actions accomplies par ceux dont nous sommes la réincarnation.
(15) Un exemple récent :
30 décembre 2009. Environ 150 commerçants, essentiellement des femmes, protestent face au bâtiment, siège de l’Assemblée nationale. Une manifestation, eh oui ! C’est que deux jours auparavant, le 28 décembre, les 300 commerçants du marché de Sereipheap se sont vus signifier par les autorités municipales leur expulsion de l’emplacement qu’ils occupaient, pour certains, depuis une vingtaine d’années.
Certes, leur surprise n’est pas totale puisque, en janvier de la même année, un jugement avait confirmé leur expulsion et que, depuis cette date, leurs baux -quand ils existaient- n’étaient pas renouvelés par le propriétaire des lieux, un riche sino-cambodgien, M. Lim Kim Phen. Celui-ci a en effet décidé de faire construire à l’emplacement du marché vraisemblablement un hôtel de luxe, ce qui est d’un rapport financier plus intéressant que les loyers payés par les commerçants. Le propriétaire refuse toute indemnité d’éviction malgré les propos lénifiants de la municipalité et de son maire : “ si vous avez la preuve d’une location, le propriétaire vous aidera…”. Le tribunal saisi par les commerçants est aux abonnés absents “trop occupé pour répondre” et le propriétaire, contacté par des ONG (organisations non gouvernementales) est “introuvable”.
Faute de réponse juridique, les commerçants se sont donc tournés vers les autorités nationales et plus précisément vers la personne qui dirige le pays, l’inamovible et tout-puissant Premier ministre, Hun Sen qui, ce 30 décembre, devait se trouver à l’Assemblée nationale.
Scénario classique direz-vous, et vu sous bien d’autres cieux. Sauf que, les manifestants, certes sous présence policière forte, ne manifestaient pas comme on le ferait habituellement dans nos pays, mais à genoux, et en tendant devant eux, à bout de bras, des portraits du Premier ministre et de son épouse tout en implorant son intervention dans le conflit.
Deux jours plus tard, les intéressés étaient délogés manu militari par la force publique.
(16) Ce que nous appelons cruauté fait partie de la culture khmère, et n’a pas été l’apanage des seuls Khmers rouges. Le Père Ponchaud , alors missionnaire à Kompong Cham depuis 1965, m’a conté le récit suivant : « le roi Norodom Sihanouk venait d’être destitué, le 18 mars 1970. Dès que la nouvelle fût connue, une foule de partisans du roi se rassemble à Kompong Cham, décidée á marcher sur la capitale, distante de 120 km… L’instigateur du coup d’état contre le roi, le général Lon Nol, envoie alors deux parlementaires au-devant des manifestants. Peut-être suite à un geste malencontreux de l’un des émissaires, la foule se déchaîne contre eux, les lynche, les dépèce et exhibe leur foie (*) à la pointe de perches, avant de les faire cuire et de les manger. C’était le 29 mars 1970. Le lendemain, Lon Nol envoie la troupe tirer sur la foule. Des dizaines de personnes seront tuées. ». Pour le Père Ponchaud, cet épisode marque le début d’une période de troubles dont le pays actuel n’est pas encore sorti…
(*) Dans de nombreuses traditions asiatiques, c’est le foie -et non le coeur- qui est censé être le siège des sentiments et du courage -voir feuille de route 24 : « « Tana Toraja, une religion face au mystère de la mort »-
Autres exemples contés par l’historien Jean-Michel Filippi :
- Il y a un siècle, les mouvements rebelles qui s’opposaient à la « pacification » française se ravitaillaient ainsi dans les villages. Ils exigeaient des villageois une certaine quantité de riz. Si ces derniers n’étaient pas en mesure de le leur fournir, ils enterraient, vivants, la moitié des habitants de la communauté villageoise.
- En 1994, les khmers rouges qui occupaient encore le sud du pays (région de Kampot- Kep) y avaient arrêté trois touristes occidentaux -dont un Français, Jean-Michel Braquet-. Ils les avaient séquestrés pendant trois mois avant de les assassiner -à la khmère rouge, c’est-à-dire à la barre de fer -. Mais auparavant, pour éviter qu’ils ne s’échappent, ils leur avaient coupé les tendons d’Achille.
- « Aujourd’hui », dans des villages reculés, on éventrerait encore certaines femmes enceintes pour récupérer le fœtus. Après avoir fait subir à l’embryon divers sortilèges, on le confie au mari, car il est censé alors procurer l’immortalité.
(17) Dans la capitale Phnom Penh, il est impossible d’emprunter un trottoir. Ils sont occupés, de fait, par ceux qui habitent face à ce trottoir. Ici, le trottoir, bien que lieu public et entretenu par la collectivité, est considéré comme un prolongement naturel de son propre habitat. On y met son véhicule ou sa moto, ses marchandises si on est commerçant. On s’y installe pour y discuter avec ses amis, et si, par hasard un espace restait libre, marchands de rue, motos ou voitures-taxis, voire des travaux divers ont vite fait de le squatteriser. Bref, il ne reste plus au piéton qu’à emprunter une chaussée surencombrée. Il est vrai que celui qui ne peut se déplacer qu’en utilisant ses deux jambes est par hypothèse un être de catégorie inférieure. Inutile pour l’étranger de protester contre cette prolétarisation du piéton : un Cambodgien ne peut comprendre qu’un “Barang” ou étranger, par définition riche, ne puisse se payer un moyen de locomotion à moteur, et, en principe une voiture.
(18) Pour 2009, les statistiques évoquent le chiffre de 1.800 morts, chiffre en augmentation chaque année (2008 : 1.600 victimes de la route) et qu’il faut, évidemment mettre en regard du nombre de véhicules circulant dans le pays et du nombre d’habitants (15 millions), dont la majorité a moins de 15 ans.
(19) Le nouveau code de la route prévoit, entre autres, un système de permis à points, mais personne ne sait comment cela fonctionne. Il est vrai que le permis est d’abord un moyen de faire payer le candidat - comme les examens scolaires - beaucoup plus qu’un examen visant à vérifier les hypothétiques connaissances de l’impétrant. Personnellement, j’ai payé 45 dollars (33 euros) pour en avoir un. Il m’a suffit de me rendre dans une auto-école -c’est-à-dire que les permis passent par des offices privés- et de verser 45 dollars pour avoir mon permis cambodgien, exigé dorénavant par les forces de police chargées de la circulation, même pour les étrangers de passage. Où sont passés mes 45 dollars, je serai bien incapable de le dire. Ils ont vraisemblablement été partagés entre l’auto-école et un fonctionnaire. Malgré des conditions de passage de l’examen ne garantissant aucune compétence, le directeur des routes au ministère de l’Intérieur, M. Yan, a récemment déclaré (voir « Cambodia Daily » en date du 13/01/2010) : « ceux qui n’ont pas leur permis iront directement en prison pour une durée de 6 jours à un mois… »
La vitesse est limitée (40 km/h en ville et 70 km/h sur route), mais comment contrôler. La police annonce avoir 10 radars, mais je n’en ai jamais vu un, et tous les Cambodgiens interrogés par mes soins sur ce point m’ont répondu par un grand sourire.
L’alcoolémie figure également maintenant au rang des infractions, mais personne n’a pu me préciser le degré à ne pas dépasser et surtout, et comme toujours, comment contrôler. Il est vrai que dans un pays où les policiers doivent payer l’essence qu’ils utilisent pour remplir leur mission, ils ne vont pas payer sur leurs deniers des alcootests.. et d’ailleurs où les trouver. Dans le numéro 120 de Cambodge Soir, un article intitulé « zéro de conduite » présente une anecdote révélatrice en matière d’alcoolémie au volant, et, plus généralement, en matière de pratiques de conduite. Un témoin constate récemment, à la sortie d’un etablissement de boissons, qu’un client en sort titubant. Il prend alors, avec peine, le volant de son vehicule et, au vu des premiers metres qu’il parcourt, va vraisemblablement provoquer un accident. Ce témoin file alors vers le plus proche croisement où il sait que des forces de Police stationnent. Ce qui était effectivement le cas (comme pour les radars chez nous, les forces de Police sont stationnées toujours aux mêmes endroits). Il les alerte sur le danger certain que représente ce conducteur ivre, et se voit alors répondre : « nous ne pouvons rien faire, il n’a pas encore causé d’accident… »
(20) Voir « Cambodge Soir » - numéro 115 - « Sur le bitume, le dollar fait la loi. »
(21) Pour 2 millions d’habitants et 700.000 motos
(22) Selon un sondage, 20 % des conducteurs auraient quelques notions des principales règles du code le route (par exemple savoir reconnaitre un panneau de sens interdit)
(23) Le mutualisme n’est pas l’apanage des sociétés vertueuses.
(24) En janvier 2010 : 1 euro équivaut à 6.000 riels.
(25) Aux bonnes œuvres de la Police?
(26) Les conducteurs de véhicules qui n’arborent pas de plaque minéralogique officielle laissent souvent « traîner » sur le tableau de bord une casquette de militaire ou un insigne d’un ministère quelconque... : « normal qu’ils ne soient pas inquiétés, déclare un policier sous couvert d’anonymat, ces personnes ont des relations haut placées, cela pourrait nous coûter notre place. »
(27) Il en résulte qu’au Cambodge, les policiers de la route n’ont qu’une crainte : ne pas etre affecté à la circulation.
(28) Hun Chea, un des neveux de l’actuel Premier Ministre, a, le 3 aout 2008, au volant de son vehicule, tue accidentellement un motocycliste. Bien que sa responsabilite ait été totale, il ne fut aucunement inquiete. Les avis toutefois divergent sur les suites de cette affaire. Pour certains, proches du pouvoir actuel, il a indemnise les parents de la victime a hauteur de 4 000 dollars. Pour d’autres, il a osé réclamer, aux familles des victimes, une prise en charge des dommages causés au véhicule qu’il conduisait.
(29) Titre d’une conférence donnée par Monychenda Heng, Directeur de l’ONG « buddhism for Development », un des deux seuls groupes bouddhistes qui se préoccupe du devenir social des Cambodgiens.
(30) Que les Cambodgiens appellent « neige cambodgienne. »
(31) ONG : Organisation (s) Non Gouvernementale (s). Elles suppléent les lacunes des autorités publiques du pays, notamment dans les secteurs de la santé, de la formation, de l’agriculture et souvent des Droits de l’Homme. Missionnaires des temps modernes, elles en reprennent les défauts et les qualités.
(32) « Action Cambodge Fronton . »
(33) Nous nous rendons á Kulen, centre de quelques milliers d’âmes qui est situé au centre de la province de Preah Vihear, une des 23 provinces cambodgiennes. Il s’agit de l’une des régions les plus déshéritées au nord du pays. Elle jouxte la Thaïlande et englobe le temple de Preah Vihear, objet de litige entre les deux pays, chacun estimant qu’il reléve de sa souveraineté (la cour internationale de Justice de La Haye a toutefois, en 1962, confirmé la souveraineté du Cambodge sur le temple). Province pauvre, car en dehors des axes « faciles » de circulation, c’est-á-dire le long des fleuves -Mekong et Tonle Sap- qui partagent le pays en son milieu.
(34) En réalité, le Père Ponchaud mène des projets dans deux provinces : celle de Preah Vihear et celle de Kompong Cham (il a maintenant décidé de se retirer et de terminer sa vie dans ce second lieu). Dans les deux cas, les projets, essentiellement à finalité rurale et agricole (pistes, points d’eau, améliorations agronomiques, formation et santé, recherche de nouvelles énergies) veulent partir des besoins concrets des habitants et sont à peu prés similaires. A Kompong Cham, en plus, le Père met en œuvre des programmes de latrines et d’installations de biogaz. Un projet de caisse de crédit doit également y démarrer en mars 2010 ainsi qu’une Maison Familiale et Rurale. Principe de base : le Père ne lance un projet que si les autochtones s’impliquent personnellement, directement et matériellement dans sa réalisation.
(35) Après la prise de Phnom Penh, le 7 janvier 1979, par les forces vietnamiennes, une bonne partie du pays était encore contrôlée par les Khmers Rouges (lorsque je me rendais au Cambodge, au début des années 1990, leurs forces se trouvaient à une cinquantaine de kilométres la capitale).
Cette guerre larvée n’a de fait eu un terme qu’aprés leur reddition. Elle s’est faite en deux étapes.
Première étape : le 9 aout 1996, le ministre des Affaires étrangères des Khmers rouges, Ieng Sari -celui-là même qui est aujourd’hui inculpé avec son épouse- se rend á Hun Sen avec environ la moitié des forces Khmers rouges contre la garantie d’une amnistie et l’incorporation des forces Khmers rouges au sein de l’armée gouvernementale… ce qui déclenche la fureur de Rannarith, chef du parti royaliste et adversaire politique de Hun Sen qui avait espéré que Ieng Sari se rendrait aux forces royalistes. L’autre moitié de l’armée Khmère rouge continue, elle, avec Pol Pot, à « tenir » encore la frontière nord du pays, et donc la province de Preah Vihear. Chacun des deux protagonistes, en lutte pour le pouvoir á Phnom Penh (Hun Sen et Rannarith) essaie alors de rallier à sa cause les restes de l’armée Khmère rouge. La tension monte. Les menaces de coup d’état se précisent. Le 5 juillet 1997, Rannarith part en France pour y chercher vraisemblablement des appuis. Alors que l’avion vient de décoller, est diffusé, vraisemblablement par erreur, un message radio de Rannarith accusant Hun Sen d’avoir fomenté un coup d’état. Hun Sen, alors en voyage au Vietnam, pour y trouver, de son côté, des appuis, prend connaissance du message de son adversaire, croit à un coup d’Etat du chef du Parti royaliste et rentre précipitamment dans la capitale qui sommeille dans la chaleur moite de l’été. Hun Sen décide alors de profiter de la situation pour éliminer physiquement les soutiens de Rannarith -sa garde rapprochée ainsi que le chef de la police -royaliste-. 150 partisans de Rannarith seront exécutés les 5 et 6 juillet 1997 dans des conditions atroces (langues arrachées, yeux crevés, corps éventrés prés du Vat Phnom à Phnom Penh).. Comme quoi, les Khmers rouges n’ont pas le monopole des crimes inqualifiables.
Le 15 avril 1998, Pol Pot décède. Noël 1998, Kieu Samphan, Président du Kampuchéa démocratique, est livré par les autorités thaïlandaises à Hun Sen qui accueille l’ancien responsable Khmer rouge à bras ouverts à Phnom Penh. Onze ans plus tard, Khieu Samphan sera tiré de sa paisible retraite pour être inculpé et traduit devant le tribunal des Khmers rouges.
(36) Ainsi, lors de notre passage, les paysans nous ont informé que la construction d’un barrage sur un cours d’eau avait permis de conserver de l’eau jusqu'à 10 kilomètres en amont du barrage, ce qui permettait de faire une deuxième récolte de riz.
(37) Lorsqu’il est arrivé, il y a dix ans, l’école avait lieu en plein air, sous un simple toit fait de feuillages.
(38) Alors que dans le second projet animé par le Père -dans la province de Kompong Cham-, la partie agricole du projet bénéficie depuis 3 ans de la présence permanente d’un ingénieur agronome et bientôt d’un second, pour Kulen (région de Preah Vihear). Avis aux amateurs…
(39) Une anecdote sur les orphelins. Il y a presque deux ans, une des adjointes du Père, Sophean, en charge des maternelles, avait aidé, matériellement, une voisine, alors enceinte et abandonnée par son mari. La mère meurt en couches. Rentrant, le soir même, de son travail, Sophean, trouve sa sœur avec un bébé dans les bras.. » puisque tu avais aidé la mère, il est normal que tu prennes en charge l’enfant », aujourd’hui une jolie petite fille de presque deux ans.
Quelques mois plus tard, elle trouve, sur le seuil de son domicile, un bébé de trois mois vagissant. C’était le fils d’une femme qui, juste après la naissance, était partie travailler en Malaisie et qui, lors de son départ, avait vendu son bébé pour 50.000 riels (8,33 euros) à ses voisins. Mais ceux-ci avaient voulu (le bébé leur paraissait trop malingre) se débarrasser de l’enfant » et puisque Sophean avait déjà pris en charge un bébé, pourquoi pas celui là ». Aujourd’hui, Sophean élève donc les deux enfants dont la joie de vivre est un hymne à la vie, au point que d’autres voisins lui ont proposé récemment de les lui racheter pour 250 dollars US (185 euros).
(40) Rendant visite lors de notre passage aux médecins de l’hopital de Kulen pour leur apporter du matériel médical, nous avons rencontré une équipe de médecins suisses - de l’Institut Tropical suisse- occupant le second bâtiment, construit par le Père. Car, il est actuellement utilisé pour réaliser les analyses d'une enquête épidémiologique sur les enfants scolarisés. Cette équipe a en effet pour mission d’évaluer l’infection de la population locale à un ver intestinal transmis par voie terrestre avec deux vecteurs : l’absence de chaussures et de latrines. Les premières enquêtes démontreraient que 35 % à 40 % de la population enfantine serait infectée par ce ver dont la prolifération peut conduire à l’effondrement des défenses systémiques et à la mort. Une fois le diagnostic établi, encore faut-il financer les moyens thérapeutiques de lutte contre ces vers. Ce qui, pour l’instant, est réalisé par la coopération coréenne.
Mais restons pour l’instant sur l’histoire de ce bâtiment. Sur son fronton figure un nom : « Philippe Duval Arnoud », celui d’un médecin de Versailles venu au nom d’une petite association, donner, il y a 5 à 6 ans, quelques soins aux Cambodgiens, ce qui l’avait amené à entrer en contact avec le Père Ponchaud. Ensuite, cette association avait sombré dans l’inaction. Mais des liens étaient restés entre ce médecin et le Père. Il y a environ deux ans, un cancer emportait le docteur. Mais il avait, dans ses dernières volontés, fait savoir qu’il souhaitait qu’un don soit effectué au bénéfice de deux associations travaillant au Cambodge, dont celle du Père Ponchaud, qui reçût ainsi 6.000 euros, somme correspondant à la moitié du coût de la construction du bâtiment, terminé il y a quelques mois.
Initialement, ce bâtiment était destiné à abriter les tuberculeux. Les médecins cambodgiens travaillant sur place regrettaient que ces malades pulmonaires se trouvent au milieu des habitants venus en consultation, des malades opérés et des femmes en voie d’accouchement. Il doit trouver sa finalité originelle après le proche départ de l’équipe suisse. Mais pour l’instant, en permettant des analyses dans des conditions correctes, il contribue à sauver des vies… « les petits ruisseaux… »
(41) Au nom de la Fondation Air France
(42) Le Père me dit que dans la ville de Kompong Cham, il a embauché un ingénieur agronome cambodgien. Il lui a d’abord expliqué ce qu’il attendait de lui pendant un an, avec force démonstrations et expériences à l’appui pour introduire auprès d’élèves d’une proche école d’agriculture de nouvelles méthodes de culture de riz dont l’objet est d’améliorer les rendements et de diminuer l’usage des intrants. L’année suivante, l’ingénieur, sous l’autorité du Pére réalise avec les éléves de nombreux essais qui se révélent tous concluants. Confiant, une année plus tard, le Pére, pour des raisons personnelles, part en France à l’époque des semailles et de la moisson. Il constate, à son retour, que les méthodes traditionnelles ont été de nouveau utilisées. Il interroge son ingénieur sur les raisons du non recours aux nouvelles méthodes : « les parents des élèves n’étaient pas d’accord…. »
(43) Les voisins du Cambodge (Thaïlande, Vietnam et Chine) ne souhaitent qu’une chose : pouvoir occuper une partie du territoire cambodgien. Je rappelle que c’est l’intervention française - en 1863 - qui a « sauvé » le royaume khmer de son dépecage, certes déjá bien entamé, par la Thailande et le Vietnam aux siècles précédents et surtout au 19e. Quant à la Chine, si elle nourrit peut-être moins de prétentions territoriales, elle ambitionne de « coloniser » économiquement le pays : le nombre des entreprises chinoises est de dix fois supérieur au total de toutes les entreprises européennes.
(44) Conséquence : on ne destitue pas un « chef », et, en cas de besoin, d’ailleurs pas forcément justifié, on nomme un second chef. En leur laissant le soin de voir comment ils peuvent faire fonctionner leurs zones réciproques de compétence. Un exemple : l’armée du Cambodge - pour des effectifs totaux estimés à 60.000 hommes, un chiffre d’ailleurs jugé par les experts comme surévalué- compte 2.000 généraux alors que l’armée américaine en a 876.
(45) Un exemple : fin janvier, je souhaite prendre un billet d’autobus pour me rendre de Battambang (principale ville du nord-est du pays) à la capitale, Phnom Penh, distante d’environ 250 kilomètres… Au guichet, je demande un billet aller simple. « Pour aujourd’hui ou bien pour demain ? » m’interroge la préposée au guichet. « Non pour dans 4 jours » ai-je l’audace de demander… Je constate alors que je déclenche chez la charmante jeune fille affectée à la délivrance des tickets un profond sentiment de quasi-panique. Elle se tourne alors, en débitant des propos affolés, vers sa collègue de guichet, et je les vois alors débattre toutes les deux avec force intonations de voix et coups d’œil en coin vers ma personne, voilà un « barang » (étranger) qui demande une chose impossible, comment lui répondre que « ce n’est pas possible » sans le contrarier. Après de longs conciliabules, une des deux guichetières semble alors avoir l’idée qui lui sauve la face : elle tapote nerveusement sur le clavier de son téléphone mobile pour composer le numéro de son chef hiérarchique et me fait signe de bien vouloir patienter. Quelques minutes plus tard, arrive effectivement le « chef » qui reprend la conversation ponctuée de gestes marquant ostentatoirement un sentiment d’impuissance devant l’audace de ma demande… Le problème semblant insoluble, le « chef » appelle, toujours au téléphone, vraisemblablement un « grand chef », le seul habilité à me délivrer le message que personne ne semblait vouloir prononcer : « Monsieur, nous sommes absolument désolés. Nous ne pouvons délivrer de billet quatre jours à l’avance. Revenez la veille, ou mieux, le jour du départ pour l’acheter. Pouvez-vous nous pardonner ce fâcheux contretemps », et tous les quatre de se lancer dans une interminable succession de «sorry, sorry very much », toujours ponctués de sourires jusqu’aux oreilles. Également avec un grand sourire, ingénument, je me suis alors permis de demander les raisons de cette impossibilité : « mais, parce que d’habitude, on ne délivre les billets que le matin ou la veille du départ. »
(46) il y a même une ONG américaine -qui se dit « œcuménique » - mais qui, en réalité est d’obédience protestante (« World Vision ») qui prone ouvertement l’abandon des traditions, et d’abord, du bouddhisme du Petit Véhicule qui ont façonné la culture khmère
(47) pour le Père Ponchaud : « meme converti a une autre religion, un Khmer reste d’abord bouddhiste «
(48) Thèse soutenue par l’historien Jean-Michel Filippi. Pour lui, l’Empire d’Angkor, principale puissance régionale du 9e jusqu’au 14e siècle, a décliné ensuite. Pourquoi ? Pour lui, la raison principale est a rechercher dans l’absence de defis externes majeurs a relever, ce qui a conduit a l’abandon du sentiment de la necessite d’expansion, à la différence des puissances « montantes », c’est-à-dire les Siamois et surtout les nord -Vietnamiens. L’Empire s’est alors enlisé dans de stériles querelles internes et dans un administrativisme ankylosant. Il s’est laissé progressivement grignoter par ses voisins et a eclate en de multiples petites principautes, essentiellement unifiees par le bouddhisme du Petit Vehicule et la langue. Quatre siècles plus tard, le protectorat français a tenté de structurer un Etat khmer, ce qui a gelé le déclin du pays, mais temporairement : « chaque « khum » -entite communale qui est encore aujourd’hui le cadre de plus de 80% des Cambodgiens- est une île. Rien ne peut s’y faire sans l’accord des autorités traditionnelles villageoises. Tout doit être négocié avec elles et ce qui se passe dans un village n’est pas repris par les autres villages. » m’a-t-il confié.. « le pays est gouverné, mais pas administré »
(49) Selon des astrologues Sino-Khmers (voir Cambodge-Soir numéro 120 : « l’année sera meilleure que la précédente »), nous sommes entrés dans l’année du « Tigre de bois ». Elle présenterait des signes plus positifs qu’une année placée sous le signe du Tigre de feu ou d’or. Seules les personnes placées sous ce signe ne doivent pas avoir d’enfants durant cette année. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas épouser, cette année, une fille qui est née l’année du Tigre.